jeudi 23 aout 2007, 17h57 - VIENNE (AP) -
Alcool, cortisone, cocaïne... Les chanteurs d'opéra évoquent de plus en plus ouvertement un fléau qui touche leur profession et pourrait s'apparenter à une forme de dopage: l'utilisation accrue de drogues pour lutter contre le stress et tenir des cadences de travail élevées.

Il est clair que la plupart évitent ce piège même s'il n'existe aucune statistique sur la question. Mais une concurrence exacerbée, les exigences des mécènes et le poids du vedettariat conduisent certains à des excès, soulignent des membres de ce milieu.
Certaines pratiques restent relativement inoffensives, comme de prendre un bêtabloquant pour dissiper le trac avant d'entrer en scène. D'autres sont plus inquiétantes.

Des chanteurs abusent souvent des stéroïdes pris sous forme de cortisone en cas d'inflammation des cordes vocales, parfois dans des quantités qui peuvent détériorer de manière irrémédiable leur voix, soulignent des chanteurs et des médecins. D'autres abusent de la boisson ou prennent de la cocaïne.
Les choses peuvent parfois tourner au drame. Le mois dernier, le ténor américain Jerry Hadley s'est ainsi donné la mort après, aux dires de ses proches, une période prolongée de dépression et des problèmes financiers et d'alcool.

"On est un peu entré dans une culture de la pop-star", explique la soprano canadienne Adrianne Pieczonka. "Les gens parlent déjà d'une nouvelle Anna Netrebko alors qu'elle a seulement la trentaine", souligne-t-elle en référence à la célèbre soprano russe. "Aujourd'hui, c'est un peu 'Anna est démodée, il faut quelqu'un de nouveau'."
Les chanteurs d'opéra évoluent dans un milieu peu enclin à l'indulgence. Même Anna Netrebko, très populaire en Autriche depuis qu'elle a pris la nationalité de ce pays l'an dernier, a été très critiquée par les organisateurs du Festival de Salzbourg pour avoir annulé une représentation à cause de problèmes de gorge.
Le ténor Endrik Wottrich s'est également vu reprocher son retrait d'une représentation au festival Wagner à Bayreuth, en Allemagne, pour cause de rhume. "Nous avons le choix entre chanter et être attaqué parce qu'on a fait une fausse note, ou être critiqué parce que nous prenons soin de nous", a-t-il protesté dans le quotidien allemand "Frankfurter Allgemeine Zeitung".

Pour faire face à la pression, "les solistes prennent des bêtabloquants pour contrôler leur angoisse, certains ténors prennent de la cortisone pour pousser leur voix et l'alcool est partout", a-t-il affirmé au journal. "La vraie pression n'est plus le bon vieux trac mais vient d'une nouvelle dimension qui a pénétré l'opéra", celle du glamour, "et les erreurs humaines normales sont une perturbation dans un tel environnement".
La mezzo-soprano Vesselina Kasarova parle de collègues qui "en font trop (...) et ne sont pas aussi robustes qu'ils le pensent". "Ils se tournent alors vers la drogue pour pouvoir supporter ce mode de vie", a-t-elle déclaré à l'hebdomadaire allemand "Die Zeit".

Depuis 50 ans, l'opéra a connu des changements: scènes plus grandes, orchestres jouant plus fort et saisons plus longues. Facteur supplémentaire de stress, les chanteurs sont rémunérés à la représentation. S'ils ne chantent pas, ils ne sont pas payés.
Les bons chanteurs sont demandés un peu partout dans le monde et toute l'année. L'importance croissante donnée à l'apparence ajoute à la pression. Des vedettes comme Netrebko sont célébrées autant pour leur physique que pour leur voix.
"L'intérêt pour l'opéra s'est fortement accru ces dernières années", note le critique autrichien Wilhelm Sinkowitz. "L'opéra a toujours généré du stress et autrefois si quelqu'un comme (Maria) Callas annulait c'était une catastrophe pour ceux qui avaient payé pour la voir."

"Mais tout cela a été amplifié: il y a de plus en plus de représentations et de pression", résume-t-il. "Et aujourd'hui, le public n'accepte pas qu'un grand nom comme Netrebko ou (Rolando) Villazon ne soit pas disponible. Alors la pression sur les grands chanteurs est énorme."