Source CNRS
Fabriquer de l'ammoniac nécessite de couper l'une des plus fortes liaisons chimiques connues: la triple liaison qui relie les deux atomes d'azote dans la molécule de diazote (N2). Les catalyseurs qui accomplissent cette coupure impliquent toujours plusieurs centres métalliques. Les chimistes du CNRS ont observé un autre mécanisme de clivage, qui repose sur un seul centre métallique. Ils élargissent ainsi le champ de leur recherche, qui avait déjà permis d'activer d'autres molécules peu réactives comme le méthane, annonçant des débouchés dans le domaine des énergies nouvelles et de l'environnement durable. Ce travail est publié dans la revue Science du 24 août 2007.

La molécule de diazote est la plus répandue dans l'atmosphère, dont elle représente environ 80 pour cent. Les chimistes s'intéressent de près à l'élément azote, car il est présent dans plusieurs produits industriels, au premier rang desquels figurent les engrais, à base d'ammoniac (NH3). La synthèse d'ammoniac à partir d'azote moléculaire constitue un enjeu économique et écologique très important.

Jusqu'à présent, pour casser la triple liaison qui lie les deux atomes d'azote dans la molécule de diazote, le seul procédé utilisé est le procédé Haber-Bosch. Il s'agit d'un procédé de catalyse hétérogène par des solides: la plupart des réactions de l'industrie chimique emploient des catalyseurs, dits «hétérogènes", quand ils ne sont pas dans le même état que les réactifs ou les produits (par exemple, s'ils sont solides quand les réactifs et produits sont gazeux) ; ils ne se mélangent pas aux produits de la réaction et peuvent être réutilisés. Dans le procédé Haber-Bosch, le mécanisme qui permet de couper la molécule de diazote implique l'intervention de plusieurs métaux pour dissocier les deux atomes d'azote. Employé pour produire 100 millions de tonnes par an d'ammoniac dans le monde, il est aussi très gourmand en énergie, puisque il consomme un pour cent de la production mondiale d'énergie.

Pour la première fois, les chimistes lyonnais ont réussi à dissocier la molécule d'azote sur un seul centre métallique au lieu de plusieurs nécessaires dans le procédé actuel. Il s'agit d'un atome de tantale, très pauvre en électrons, lié à la surface d'une silice par deux liaisons SiO-Ta selon un processus très original. La synthèse de ce type de catalyseurs extrêmement réactifs est le résultat de longues années de recherches en chimie organométallique de surface. Cette discipline a déjà permis de réaliser de nouvelles réactions catalytiques sur d'autres molécules très difficiles à activer, tels le méthane (CH4) et les alcanes (hydrocarbures saturés). Notamment, les chimistes lyonnais ont réussi a dépolymériser le polyéthylène, afin de le recycler par exemple. Ils ont également utilisé le méthane pour construire des alcanes plus longs (à plusieurs atomes de carbone), pressentis comme l'une des énergies nouvelles de demain. Cette découverte élargit le champ d'application de la chimie organométallique de surface aux produits azotés et aux enjeux industriels et sociétaux qu'ils représentent.