Source: CNRS / INSU

Jusqu'à présent, on pensait qu'il y a 3,5 milliards d'années, certaines des premières bactéries tiraient leur énergie de la réduction des sulfates, comme elles le font aujourd'hui aux abords des sources hydrothermales au fond des océans. En analysant les proportions d'isotopes des composés soufrés dans des roches australiennes, les chercheurs de l'Institut de Physique du Globe de Paris et leurs collègues de l'Université du Maryland et du Geological Survey of western Australia concluent que ces anciennes bactéries tiraient leur énergie non pas du sulfate mais du soufre élémentaire.

Le métabolisme proposé, la disproportionation, est un métabolisme rudimentaire encore peu connu et peu étudié. L'utilisation du soufre élémentaire plutôt que du sulfate (composé oxydé) par ces microorganismes primitifs renforce la thèse selon laquelle l'environnement de la toute jeune Terre était pauvre en oxygène.
Jusqu'à présent, il était admis que la sulfato-réduction était l'un des métabolismes bactérien les plus primitifs. En effet, les chercheurs avaient découvert des roches contenant la signature de la présence de bactéries sulfato-réductrices, il y a 3,5 milliards d'années en Australie. Ce type de métabolisme est très courant dans l'environnement moderne, en particulier chez les micro-organismes qui vivent aux abords des sources hydro-thermales, dans les profondeurs des océans. Les bactéries réduisent les sulfates présents dans leur environnement pour en tirer l'énergie nécessaire à leur subsistance. Mais elles préfèrent utiliser l'isotope léger, 32 S, plutôt que l'isotope lourd, 34 S, du soufre. De ce fait la sulfato-réduction bactérienne se traduit par un déficit en 34 S des produits soufrés, qui sont intégrés dans le registre géologique sous forme de minéraux appelés pyrites. C'est ce déficit qui témoigne de l'activité microbienne dans les roches anciennes et que les chercheurs utilisent pour pister les premières traces de vie sur Terre.
Pascal Philippot, de l'équipe Géobiosphère actuelle et primitive de l'Institut de physique du Globe de Paris et ses collègues remettent aujourd'hui en cause ce consensus. Ils ont analysé des échantillons de roches prélevées dans la même formation géologique (formation de Dresser, dans la région des Pilbara en Australie de l'Ouest) mais par forage, c'est-à-dire à des profondeurs d'environ 150 mètres sous la surface, afin de s'affranchir des problèmes d'altération des pyrites et de contamination du site par la nappe phréatique. Il s'agit du projet de forage "Pilbara Drilling Project" réalisé en août 2004 et financé par l'Institut de physique du Globe de Paris et l'Institut National des Sciences de l'Univers du CNRS, en collaboration avec le Bureau de recherches géologiques et minières d'Australie occidentale. Les chercheurs montrent que d'autres métabolismes microbiens peuvent expliquer la présence de pyrites appauvries en 34 S dans ces roches. Il faut pour cela examiner le fractionnement entre les différents isotopes du soufre (32 S, 33 S et 34 S).

Dans l'environnement naturel, les fractionnements isotopiques (microbien ou inorganique) dépendent uniquement de la différence de masse entre les isotopes d'un même élément. Pour le soufre, le fractionnement entre le 33 S et le 32 S est 0,5 fois celle du 34 S par rapport au 32 S. Certains processus cependant ne respectent pas cette loi dite de "fractionnement dépendant de la masse". Il s'agit en particulier du rayonnement ultraviolet solaire qui, dans l'atmosphère, dissocie des molécules de gaz volcaniques (SO2) pour former des molécules de soufre élémentaire (S0) caractérisés par une anomalie des rapports isotopiques positive (notée anomalie Δ 33 S) et de sulfate montrant une anomalie Δ 33 S négative. Les composés issus de la photolyse des gaz volcaniques sont ensuite intégrés dans le registre géologique sous forme de sulfures (Δ 33 S positive) et sulfates (Δ 33 S négative). Ces anomalies sont préservées dans les roches, elles représentent des traceurs puissants des sources de soufre impliqués dans les métabolismes microbiens.

Or, la grande majorité des pyrites australiennes appauvries en 34 S présentent une anomalie Δ33S positive. Ces pyrites sont incluses dans un sulfate de baryum (BaSO4) appelé barytine. Or, ce sulfate hôte présente une anomalie Δ33S négative, différente donc de la pyrite en inclusion. Les micro pyrites ne peuvent donc pas avoir été formées à partir de sulfate. P. Philippot et ses collègues interprètent cette combinaison de déficit en 34 S et de d'anomalie positive en Δ33S comme la preuve de l'existence de microorganismes qui transforment le soufre élémentaire en dihydrogène de soufre et en sulfate. Ce type de métabolisme, appelé "disproportionation", est connu dans les environnements actuels mais encore très peu étudié. C'est probablement un métabolisme assez rudimentaire qui a pu s'adapter aux conditions inhospitalières qui devaient exister sur la jeune Terre. Cela suggère que la disproportionation de soufre élémentaire est probablement un des métabolismes les plus anciens dans l'arbre de vie. Ces travaux indiquent également que les conditions à la surface de la Terre avant 2,5 milliards d'années étaient très certainement réductrices, avec l'absence d'une enveloppe atmosphérique riche en oxygène qui, de nos jours, joue le rôle d'écran protecteur au rayonnement ultraviolet du Soleil.