Source: CNRS

L'initiation de la réponse immunitaire cytotoxique nécessite une longue "étreinte" entre les cellules de notre organisme chargées de la "lutte" contre les intrus (bactéries, virus, etc), les lymphocytes T, et les cellules dendritiques, chefs d'orchestre de la réponse immunitaire. C'est ce que démontre, images à l'appui –notamment de microscopie à deux photons mise en oeuvre par le biophysicien Luc Fetler (UMR 168 CNRS/Institut Curie – Equipe "Physique du cytosquelette et fonctions membranaires", chargé de recherche Inserm –, l'équipe Inserm de Sebastian Amigorena (Unité 653 Inserm/Institut Curie – Equipe "Cellules dendritiques et présentation antigénique"), directeur de recherche CNRS à l'Institut Curie, dans un article publié dans Immunity de février 2008.

La rencontre initiatique au cours de laquelle les cellules dendritiques matures présentent leur antigène cible aux lymphocytes T "naïfs", suit une chorégraphie complexe, qui alterne contacts éphémères et étreinte prolongée. Cette équipe montre aujourd'hui que les ruptures de rythme dans les interactions est l'élément clef qui détermine l'efficacité et surtout la pérennité de la réponse immunitaire. Si les contacts courts sensibilisent et activent les lymphocytes T, seul le contact prolongé leur imprime la mémoire de l'ennemi à abattre.

Les chercheurs identifient ainsi une nouvelle fonction de la molécule d'adhésion ICAM-1, exprimée par les cellules dendritiques matures. Indispensable au contact prolongé entre les deux types cellulaires, elle sert aussi à installer la mémoire des lymphocytes T cytotoxiques, seule garante d'une défense durable. ICAM-1 s'avère donc être un auxiliaire précieux, notamment dans les stratégies d'immunothérapie, dont l'objectif pourrait être de briser la tolérance de l'organisme vis-à-vis des cellules cancéreuses.

Les lymphocytes T sont les cellules armées de notre organisme. Toutefois tant qu'ils n'ont pas "été officiellement présentés" à leur cible, le déterminant antigénique, qu'ils vont apprendre à reconnaître, on les qualifie de naïfs: inconscients de cette affinité spécifique, ils sont alors inoffensifs et tolèrent les cellules dotées de cet antigène, pour le meilleur et pour le pire. Pour le meilleur car cette tolérance, en s'appliquant aux cellules "du soi" préserve l'individu des maladies auto-immunes. Pour le pire car cette tolérance permet aux cellules "du soi" déréglées, comme les cellules cancéreuses, d'échapper à la surveillance immunitaire. Tout l'enjeu de l'immunothérapie est donc d'aider les cellules sentinelles de notre organisme, les cellules dendritiques, à percevoir comme étrangères et dangereuses ces cellules cancéreuses. Car la détection d'un danger les fait migrer dans les ganglions lymphatiques pour alerter les lymphocytes T.

Les cellules dendritiques patrouillent en effet dans les tissus périphériques, phagocytent les intrus, les dégradent et ramènent des fragments caractéristiques de l'antigène à leur surface. Mais ces cellules immunitaires ne deviennent matures qu'au signal "danger". Pendant leur voyage vers les ganglions où résident les lymphocytes T naïfs, elles se transforment pour présenter les antigènes de façon optimale à ces cellules. Au hasard des rencontres, leurs bras ou "dendrites" se tendent vers les lymphocytes T dotés du récepteur complémentaire de l'antigène indésirable. Dès qu'ils ont été initiés à la reconnaissance de leur antigène-cible, ceux-ci se transforment alors en lymphocytes T cytotoxiques: ils se ruent vers les cellules stigmatisées et les éliminent avec leurs toxines mortelles.

Alix Scholer et Stéphanie Hugues, dans l'équipe dirigée par Sebastian Amigorena ( Inserm U653/Institut Curie ), ont scruté minutieusement les termes de cette rencontre initiatique in vitro, et in vivo chez la souris. Grâce à une collaboration étroite avec Luc Fetler, biophysicien expert en microscopie à deux photons, ces chercheuses sont parvenues à visualiser les interactions dans les ganglions, et à décrypter la teneur du message en fonction de la chorégraphie exécutée. Chez la souris normale dite "sauvage", cette chorégraphie démarre par une polarisation de la cellule dendritique – elle tend ses dendrites vers le lymphocyte –, suivie de trois phases successives: d'abord, pendant les dix premières heures, des séries de contacts brefs de quelques minutes – ; puis, pendant les dix heures suivantes, une série de longues étreintes de plusieurs heures – ; enfin, après la trentième heure, à nouveau des séries de contacts brefs. L'ensemble peut durer jusqu'à trois jours.

Dans un travail précédent, en 2004, Stéphanie Hugues avait montré que le rythme des contacts entre les cellules dendritiques et les lymphocytes T oriente le devenir des lymphocytes T, soit vers la tolérance, soit vers l'agressivité. Une chorégraphie qui se limite aux contacts transitoires maintient le statu quo et la tolérance, alors qu'une chorégraphie intégrale en trois mouvements met en place une réponse cellulaire complète: en cinq jours, des clones de lymphocytes T au récepteur spécifique de l'antigène prolifèrent, s'activent, sécrètent des toxines mortelles et attaquent les cellules cibles. Parmi ces clones, un bataillon de lymphocytes T "mémoires" reste mobilisé dans le ganglion et monte la garde.

Dans les travaux publiés en février 2008, les chercheurs ont enquêté sur la contribution de chaque mouvement à la réponse immunitaire, et sur le rôle de la molécule régulatrice d'adhésion: ICAM-1. Deux résultats essentiels sont apparus: la présence d'ICAM-1 sur les cellules dendritiques matures est indispensable pour que le lymphocyte T soit bloqué et stabilisé dans une étreinte prolongée. Sans ICAM-1 sur leurs partenaires, les lymphocytes T papillonnent. Les contacts rapides relèvent donc de la simple affinité entre l'antigène et son récepteur, et ne requièrent pas ICAM-1. Mais, découverte intéressante, ces contacts brefs suffisent à induire l'activation, la prolifération et la différenciation des lymphocytes T naïfs en lymphocytes T cytotoxiques. Cependant, ces lymphocytes T cytotoxiques produisent relativement peu d'interféron gamma, et ils disparaissent quasiment de l'organisme en moins de 2 semaines.

En absence d'ICAM-1 et d'étreinte longue, le stock de lymphocytes T cytotoxiques ne parvient pas à se maintenir. L'étreinte de longue durée dépendante d'ICAM-1 servirait-elle à installer la mémoire des lymphocytes T cytotoxiques ? La réponse est oui, et les chercheurs l'ont prouvé dans un contexte physiologique, sur des souris porteuses d'une tumeur apte à provoquer une réaction immunitaire. Chez les souris sauvages, les chercheurs retrouvent dans les ganglions lymphatiques la marque d'étreintes stables, la tumeur régresse, et les lymphocytes T nombreux, prélevés deux semaines plus tard, sont toujours cytotoxiques. A l'inverse, chez les souris transgéniques déficientes en ICAM-1, il n'y a pas trace d'étreinte stable, et les rares lymphocytes T prélevés deux semaines plus tard n'expriment pas de pouvoir cytotoxique.

L'étreinte prolongée est donc bien nécessaire pour installer une mémoire efficace de la réponse immunitaire. Certes, les contacts brefs brisent la tolérance à court terme. Mais pour une réponse immunitaire pérenne, indispensable quand l'intrus revient ou reste à demeure – comme les cellules tumorales – , il faut préserver l'étreinte. Donc l'expression d'ICAM-1. Un enseignement important pour les stratégies vaccinales, explorées par l'Institut Curie, qui visent à renforcer la réaction immunitaire par le biais d'injection de cellules dendritiques chargées des antigènes de la tumeur du patient.