Par Hubert Guillaud le 28/04/08

C’est ce que pensait l’anthropologue britannique Robin Dunbar lorsque, dans L’hypothèse du cerveau social (.pdf) il évaluait à 150 la limite cognitive du nombre de personnes avec lesquels un individu peut entretenir des relations stables. Or, selon le fondateur de Facebook que cite le blog du New Scientist, notre nombre d’amis sur ce site social tourne en moyenne entre 125 et 130 personnes. Bien sûr, nous sommes capables de nous rappeler de plus de contacts que cela, et Facebook n’agrège qu’imparfaitement nos relations (entre ceux qui ne sont pas vraiment des “amis” et nos amis qui ne sont pas présents sur la plateforme). Reste à savoir si les sites sociaux repoussent cette limite ou ne font que la refléter ? Avec combien de personnes sommes-nous capables d’entretenir des relations actives ?

L’occasion pour Gord Hotchkiss, président de l’agence de marketing Enquiro, de s’interroger sur les implications de ces limites cognitives à l’heure des relations électroniques. “Théoriquement, la réduction de la friction avec un réseau social en ligne devrait élargir exponentiellement notre cercle de connaissances sociales”, explique-t-il, en soulignant que les télécommunications nous affranchissent des limites géographiques et sociales de nos réseaux relationnels traditionnels. “Notre base de données sociale peut être immense. (…) Mais c’est lorsque nous prenons la décision de nous engager dans une amitié ou une relation sociale plus active que la limite du nombre de Dunbar s’applique.” Il nous faut pour cela distinguer les groupes du réseau. Selon une étude de Christopher Allen, sur la taille optimale des groupes, nous trouvons beaucoup de satisfaction dans les petits groupes (12 à 15 membres, que Dunbar appelle des “bandes”) et dans les très grands groupes.

Pourtant, que ce soit en permettant de voir les différentes “bandes” auxquelles on appartient ou la vaste kyrielle des personnes qui ont entendu parler de nous (dans le cas d’un usage très souple de la gestion de ses relations), force est de constater que “les réseaux sociaux en ligne ne savent pas vraiment augmenter le nombre de nos relations sociales”. Pourquoi ? Parce que si on peut maintenir une relation via des canaux numériques, pour la décision initiale de s’investir, il n’y a pas de substitut au face à face ! “Quand nous décidons d’accorder notre confiance ou pas à quelqu’un, d’en faire notre ami, nous avons besoin de lire le langage du corps et de nous intéresser à tous les signes non verbaux. Pourquoi cette confiance est-elle importante ? Parce que, inconsciemment, nous jugeons souvent notre investissement par sa réciproque potentielle. Si nous payons une bière à quelqu’un, nous voulons être sûrs qu’à un certain point, il nous payera une bière. C’est l’essence de la confiance”, explique Gord Hotchkiss. Le professeur Will Reader de l’université de Sheffield n’a-t-il pas d’ailleurs remarqué que 90 % des “amis Facebook” que nous considérons comme “proches” sont des gens que nous avons un jour physiquement rencontrés.

Mais le vrai intérêt pourrait être ailleurs. Pour Gord Hotchkiss, le plus intéressant dans les sites sociaux, est qu’ils permettent de prendre contact avec des connaissances de connaissances. Et c’est peut-être en cela qu’il nous aidera le plus à changer nos relations sociales. Notre graphe social en soit n’est pas intéressant (car limité), mais c’est accolé à ceux des autres qu’il révèle son potentiel.

Pour parodier une citation ancienne, je dirais : “Bien qu’on puisse y voir un paradoxe, mon réseau social résulte d’une démarche individuelle qui n’a de sens que pris collectivement”.