Source: CNRS

Pour scruter la matière en mouvement à l'échelle atomique, les chercheurs du monde entier rivalisent d'imagination. Une équipe franco-japonaise est tout près d'y parvenir avec des rayons X.

Obtenir des rayons X si intenses et d'impulsions si courtes qu'ils pénétreraient au coeur de la matière et pourraient "filmer" les atomes en mouvement: tel est le rêve actuel de nombreux physiciens. Et l'équipe franco-japonaise de Marie-Emmanuelle Couprie et Toru Hara (Équipe Soleil / CEA-SCSS / SPring-8) ne déroge pas à la règle. Dans cette quête, ces chercheurs ont récemment perfectionné un outil très prometteur: le laser à électrons libres.

Grâce à lui, ils ont déjà réussi à produire des flashes ultraviolets intenses d'une grande précision. Or dans la grande famille des rayons, les ultraviolets sont les cousins les plus proches des rayons X (les ultraviolets ont une longueur d'onde comprise entre 10 et 400 nanomètres; en dessous de 10 nanomètres, on entre dans le domaine des rayons X). Autant dire que les scientifiques ne comptent pas s'arrêter en si bon chemin. Ils souhaitent désormais réitérer la performance dans le domaine des rayons X, particulièrement intéressant pour accéder à la structure atomique de la matière mais aussi pour étudier le vivant... Ces travaux ont été publiés dans la revue Nature Physics.

Les synchrotrons, des accélérateurs de particules, sont capables de générer des impulsions de plusieurs couleurs, courtes de quelques dizaines de picosecondes (1 picoseconde = 10 ^-12 seconde) et très intenses. Ces sources de lumière dites de troisième génération permettent déjà d'explorer la matière en détail mais ne sont pas suffisantes: "Avec des rayonnements plus intenses, il devient possible d'identifier des espèces chimiques très diluées ou d'étudier, en une seule fois, des échantillons biologiques qui se dégradent au cours du temps, explique Marie-Emmanuelle Couprie, physicienne au synchrotron Soleil (synchrotron français situé à Saclay, commun au CNRS et au CEA). D'autre part, avec des impulsions plus courtes, on peut accéder à la dynamique des processus élémentaires: on peut voir, par exemple, comment une molécule se dissocie lors d'une réaction chimique."

Les lasers à électrons libres, sources de lumière de quatrième génération, peuvent justement produire des rayonnements plus performants: ils sont générés avec des faisceaux d'électrons accélérés à grande vitesse, dans des accélérateurs de particules, et amplifiés grâce à la lumière émise par les électrons eux-mêmes. En sortie, les lasers produisent des impulsions lumineuses d'une seule couleur, extrêmement courtes (quelques dizaines de femtosecondes - 1 femtoseconde = 10^-15 seconde -) et très intenses. Un défaut toutefois: la longueur d'onde et la durée de ces impulsions sont trop fluctuantes, pas assez précises. Or, ces caractéristiques sont importantes pour mieux comprendre les modifications qui s'opèrent au sein de la matière.

Pour y remédier, Marie-Emmanuelle Couprie a donc imaginé un nouveau type de laser à électrons libres. L'idée: amplifier le faisceau d'électrons de départ non plus avec la lumière émise par les électrons mais avec un rayonnement extérieur, de très courte longueur d'onde, produit dans une cellule de gaz rare. Avec cette technique, testée pour la première fois au Japon, les chercheurs ont réussi à produire des flashes de couleur et de durée très précises dans le domaine de l'ultraviolet extrême (entre 23 et 160 nanomètres), sans qu'ils perdent de leur intensité. Prochaine étape: obtenir un rayonnement de longueur d'onde encore plus courte, pour pénétrer enfin dans le domaine des rayons X.

En attendant, cette nouvelle source de lumière sera intégrée dans un futur projet français baptisé Arc-en-Ciel. Elle a aussi une place réservée auprès de certains lasers à électrons libres "classiques", dont le laser Flash, à Hambourg.