Voici un article enthousiaste sur la production d'Oedipe. Son titre original était "Avec "Oedipe", la France retrouve l'un de ses chefs-d'œuvre lyriques" - lundi 13 octobre 2008, 12h56 -

Événement au Théâtre du Capitole à Toulouse: "Oedipe" d'Enesco a été représenté sur une scène en France, une première depuis 45 ans et la réparation d'une anomalie pour l'un des grands opéras français du XXe siècle, orchestralement et vocalement fascinant.

Violoniste virtuose et pédagogue recherché -- Yehudi Menuhin a été son disciple -- mais aussi chef d'orchestre et compositeur, le Roumain Georges Enesco (George Enescu dans sa langue natale) a choisi comme seconde patrie la France, où il est mort en 1955, à 73 ans.

C'est d'ailleurs au Palais Garnier qu'"Oedipe", son unique opéra, a été créé en 1936, sur un livret en français d'Edmond Fleg. Le public hexagonal a pu revoir cette tragédie lyrique difficile à monter pour la dernière fois en 1963, mais alors en roumain, lors d'une visite de l'Opéra de Bucarest.
Depuis, les mélomanes français devaient se contenter d'enregistrements, notamment celui réalisé en 1989 sous la direction musicale de l'Américain Lawrence Foster avec le baryton belge José Van Dam dans le rôle-titre, une référence qu'EMI vient de rééditer.

Le metteur en scène Nicolas Joel a donc décidé d'ouvrir sa 18e et dernière saison à la tête du Capitole, jusqu'au 19 octobre, avec une nouvelle production de cette rareté, en partenariat avec le Festival international George Enescu de Bucarest, qui la programmera à son tour les 30 août et 2 septembre 2009.
"C'est l'une des choses les plus ambitieuses que j'aurai faites au Capitole, vu l'importance de l'ouvrage et des moyens à mettre en oeuvre", expliquait Nicolas Joel quelques jours avant la première.

Victime d'un accident vasculaire cérébral (AVC) fin août, le directeur du Capitole signe la conception scénique de cet "Oedipe" mais a dû en confier la réalisation à son assistant Stéphane Roche.
Peut-être victime de ces circonstances particulières, la direction d'acteurs n'est pas le point fort de la soirée. Elle peine à habiter un ouvrage déjà hiératique sur le plan dramatique, sauf au IIIe acte, celui d'Oedipe-Roi, qui se crève les yeux après avoir appris qu'il a tué son père et épousé sa mère.
Les Italiens Ezio Frigerio (décors) et Franca Squarciapino (costumes) assument une esthétique visuelle très classique voire traditionnelle, avec gradins d'amphithéâtre, colonnes, costumes et perruques "à l'antique".
Dans la fosse, les menus défauts de justesse de l'Orchestre du Capitole sont des broutilles rapidement oubliées, tant la formation rend justice à cette partition à la fois dense et subtile (les bois !), qui sonne très française par son raffinement mais ne ressemble à rien de connu.
L'Israélien Pinchas Steinberg dirige le tout d'une main ferme mais sans forcer le trait, au diapason d'une écriture moderne sans tapage, ample sans boursouflure (même, globalement, du côté des chœurs, bien sollicités).

Point fort de cette résurrection scénique: le plateau vocal, pour lequel Nicolas Joel a été "très heureux de réunir une distribution à 90% francophone". Dans l'éprouvant rôle d'Oedipe, omniprésent ou presque, le baryton Franck Ferrari défie le destin avec un aplomb remarquable.

Les autres rôles sont souvent des faire-valoir, mais ils ont été distribués avec un luxe exceptionnel, à l'image de la mezzo Sylvie Brunet, qui donne une leçon de déclamation lyrique en Jocaste, et de l'alto québécoise Marie-Nicole Lemieux, auteur d'un numéro sidérant en monstrueuse Sphinge.

Ne reste plus qu'à retrouver "Oedipe" à l'Opéra de Paris, ce qui est dans les projets de Nicolas Joel, directeur de la maison dès l'été prochain.