Source: CNRS

Après avoir tourné comme une toupie pour faire remonter la nourriture à la surface de l'eau, le phalarope, oiseau du Nord-Ouest américain, y plonge son bec et prélève... une seule et unique goutte d'eau. Là, comme par magie, la goutte est propulsée à la verticale et remonte le long du bec vers son gosier. Les petits crustacés prisonniers de la gouttelette sont avalés, et le bec replonge. Ainsi de suite, à la vitesse de deux gouttes par seconde.

Étonnés par ce mode d'alimentation au goutte-à-goutte, Manu Prakash et John Bush, du Massachusetts Institute of Technology, à Cambridge, associés à David Quéré, du Laboratoire de physique et mécanique des milieux hétérogènes (PPMH), à Paris, sont parvenus à expliquer comment le liquide défiait avec autant d'aisance la pesanteur.

C'est en fabriquant un bec artificiel similaire à celui du phalarope, une petite pince filiforme de 2 cm de long, que les chercheurs ont décomposé le mouvement. Première observation: la forme asymétrique du bec provoque l'aspiration spontanée du liquide de sa pointe vers sa base, plus fermée. C'est ce qu'on appelle l'aspiration capillaire. Mais si une goutte d'huile, très glissante, se déplace sans obstacle, une goutte d'eau a plus de mal à bouger. "Les surfaces solides sont généralement hétérogènes, avec des défauts. L'eau, comme sur une vitre, va s'y accrocher et résister à la force capillaire", décrit David Quéré. Et, une chance pour l'oiseau, à la pesanteur aussi.

Ainsi, même à la verticale, la goutte d'eau ne retombe pas. En revanche, pour avancer vers le gosier, elle a besoin d'un petit coup de pouce. Le secret ? D'infimes mouvements d'ouverture et de fermeture du bec. "Quand on écrase suffisamment fort les deux lames de la pince, la goutte se décroche des défauts, et quand on relâche, son centre de gravité se déplace vers l'endroit le plus fin", explique David Quéré. Lorsque le mouvement et les angles d'ouverture et de fermeture sont optimisés, la goutte parcourt le bec artificiel en seulement 2 ou 3 cycles et moins de 0,5 seconde. "C'est exactement ce que fait le phalarope ! Il semblerait donc que le petit mouvement vibratile de son bec soit optimisé et qu'il ait une précision de l'ordre du degré", s'émerveille David Quéré.

Satisfaits d'avoir percé le secret du phalarope, les chercheurs espèrent maintenant utiliser ce mode de propulsion pour guider des liquides dans des systèmes microfluidiques.