La crise financière s'était invitée à la première Conférence internationale sur les biocombustibles, qui s'est tenue à Sao Paulo du lundi 17 au vendredi 21 novembre, ternissant l'offensive diplomatique préparée durant de longs mois par le gouvernement de Brasilia.

Deuxième producteur mondial d'éthanol, élaboré à bas prix avec de la canne à sucre, le Brésil rêve d'imposer son agrocarburant sur le marché international, comme une matière première énergétique verte, et non comme une simple denrée agricole. Les autorités, qui vantent inlassablement les mérites de cette énergie renouvelable, espéraient que cette conférence pourrait, face aux 2 000 experts et responsables politiques venus de quarante pays, légitimer leur éthanol.

Mais en période de crise, et de pétrole moins cher, l'intérêt pour les agrocarburants est retombé, et le président Luiz Inacio Lula da Silva n'a finalement pas ouvert, mais seulement clôturé les débats, tandis que le président américain George Bush, un temps dont la venue était espérée en vertu de l'accord de coopération sur l'éthanol signé entre Brasilia et Washington en mars 2007, n'a jamais confirmé sa présence.

Aux cours des débats sur les biocarburants et le développement durable, la sécurité alimentaire ou les défis pour l'écosystème, les intervenants ont tous évoqué leur préoccupation face au délicat moment traversé par l'économie mondiale. "Cette crise peut aussi être une grande opportunité pour revoir nos paramètres, et s'engager dans un cycle nouveau basé sur les biocombustibles", a tempéré l'économiste franco-polonais Ignacy Sachs.

Alors que 30 milliards de dollars d'investissements étaient attendus dans le secteur dans les prochains mois, la puissante Union brésilienne des industries de canne à sucre tend la sébile à l'Etat. "Nous allons demander au gouvernement de nous aider à traverser ce moment difficile", a avoué Marcos Jank, qui estime que la moitié seulement des 200 groupes économiques du sucre au Brésil, survivra à la tourmente.

Pourtant, les études diffusées pendant la Conférence assurent que la production de biocarburants augmentera de 191 % d'ici à 2015. Les plantations de canne gagneront du terrain. D'ores et déjà, elles ont augmenté de 15,7 % en un an au sud du Brésil, selon l'Institut national d'études spatiales.

Impacts Négatifs
La crise n'est pas le seul élément qui affecte les perspectives de l'éthanol. Réunis loin des salons feutrés de la Conférence, une centaine de représentants de mouvements sociaux brésiliens et étrangers, dont Via Campesina, ont dressé une liste des impacts négatifs de la canne à sucre, dont les risques d'une monoculture. Dans une déclaration finale remise aux responsables de la conférence, ces organisations soulignent notamment les menaces à la sécurité alimentaire mondiale, la production industrielle des agrocarburants entrant en concurrence avec les sols et l'eau destinés à l'agriculture vivrière.

"Les premiers signes du recul des aliments se notent déjà au Brésil", affirme Jean Marc von der Weid, spécialiste de l'agriculture familiale. Et il donne en exemple l'Etat de Sao Paulo, où se concentrent deux tiers de la production d'éthanol : la progression de la canne, entre 1990 et 2003, a fait reculer d'autant les surfaces de maïs, haricot noir, riz, blé, orangers, café et coton. "Les capitaux investis dans l'industrie du sucre misent sur les meilleures terres", estime ce consultant de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).

La canne repousse la frontière agricole vers l'Amazonie et inquiète les écologistes. Ils s'étonnent que le gouvernement n'ait toujours pas divulgué la carte délimitant les zones interdites aux plantations de canne à sucre, pour protéger la forêt tropicale. "Cet éthanol est le moins cher du monde, mais à quel coût humain ?", interroge l'avocat en droit du travail à Recife (Etat du Pernambouc), Bruno Ribeiro. Pour lui, "avec la connivence de l'Etat, les 500 000 coupeurs de canne connaissent la précarité d'un emploi saisonnier, parfois dans des conditions dégradantes et inhumaines". De janvier 2003 à octobre 2008, 6 779 personnes ont été "libérées" de contrats de travail forcé ; 5 174 ces vingt derniers mois. "Un esclavage moderne qui augmente dans le secteur du sucre et donc de l´éthanol", a dénoncé l´Eglise catholique du Brésil.

"Il y a un an, nos critiques étaient à peine écoutées, remarquait l'une des intervenantes du séminaire, Fatima Melo, de l'ONG Fase. Mais la crise démontre que le rythme de consommation d'énergie ne peut être soutenu, et que nous ne devons pas devenir le grenier d'agrocarburants des consommateurs européens ou américains."