Lundi 24 novembre, 13h10

Le nombre et la qualité des spermatozoïdes ont diminué d'environ 50 % par rapport à 1950. L'incidence du cancer des testicules a doublé au cours des trente dernières années. Le nombre de malformations génitales masculines est en hausse : la fréquence de la cryptorchidie (interruption de la migration d'un testicule vers les bourses) a été multipliée par 1,5 en vingt ans. Au premier rang des accusés figurent des substances chimiques : les perturbateurs endocriniens.

Les ministères de l'écologie et la santé, l'Institut de recherche en santé publique (Iresp) et l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) organisent le colloque "Environnement chimique, reproduction et développement de l'enfant", mardi 25 novembre à Paris. Président de l'Iresp, Alfred Spira est responsable scientifique de ce colloque, dans lequel interviennent Bernard Jégou, président du conseil scientifique de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et Pierre Jouannet (université Paris-V). Tous trois travaillent depuis quinze ans sur les troubles de la fertilité liés aux polluants.

Les politiques se préoccupent des effets néfastes de l'environnement sur la fertilité. Comment expliquez-vous cette mobilisation ?

Pierre Jouannet. Les politiques bougent parce qu'il existe une demande sociale importante. Les données scientifiques s'accumulent depuis quinze ans. L'épidémiologie comme les travaux chez l'animal et quelques études dans l'espèce humaine montrent que la période du développement embryonnaire précoce peut être fortement affectée par la nutrition de la mère. Cela a des conséquences sur le développement du foetus, son poids à la naissance et sa santé ultérieure.

Bernard Jégou. L'affaire du Distilbène, cette hormone de synthèse commercialisée entre 1950 et 1977 pour prévenir des fausses couches, qui s'est révélée nocive pour les enfants exposés in utero, a montré qu'il faut maintenir la vigilance à travers les générations. Ce ne sont pas seulement les individus qui sont touchés mais aussi la qualité de leur descendance, déjà menacée par l'explosion des allergies, du diabète.

Alfred Spira. Les risques pour la santé liés aux modifications de l'environnement constituent d'abord un réel problème pour une petite partie de la population générale, exposée professionnellement à des doses élevées. Mais au XXIe siècle, le principal tueur restera le tabac et ses 10millions de morts par an dans le monde. A côté, les risques liés aux perturbateurs endocriniens apparaissent très faibles, mais sont perçus de manière amplifiée car ils touchent à des aspects "sensibles" : la fertilité, les organes génitaux masculins.

De quelles données dispose-t-on sur les risques liés aux produits utilisés pendant la grossesse ?

P. J. L'interprétation des données expérimentales et épidémiologiques est compliquée en raison de l'exposition à des produits multiples à faible dose dont les effets peuvent se renforcer mutuellement. L'exposition de rates à des hormones antiandrogènes à différentes périodes de leur grossesse a entraîné des malformations génitales ou des anomalies de la prostate chez les foetus mâles. Nous savons depuis l'affaire de la thalidomide un médicament qui s'est révélé néfaste pour le foetus , que la grossesse est une période sensible.

A. S. Une chercheuse américaine a établi une corrélation entre la quantité de viande de boeuf mangée par la mère pendant la grossesse et la qualité des spermatozoïdes du fils, mais corrélation ne veut pas nécessairement dire causalité.

B. J. La viande produite aux Etats-Unis, d'Argentine, de Nouvelle-Zélande notamment, contient des hormones... A. S. Quant au lait bio, il ne contient peut-être pas de pesticides, mais il renferme des oestrogènes, ceux-ci étant dénaturés par les pesticides dans le lait pasteurisé.

Quels sont les effets des phtalates et bisphénol A sur la reproduction et le développement du foetus ?

B. J. Ces plastifiants s'opposent à l'action des hormones masculines, les androgènes. Les phtalates sont employés comme lubrifiants dans le PVC et se retrouvent dans de nombreux objets de consommation courante : cosmétiques et emballages pour la nourriture. Ce sont des antiandrogènes. Le bisphénol A est un oestrogène de synthèse qui n'a pas été utilisé comme tel car le même chimiste a mis au point un oestrogène plus puissant, le Distilbène...

Le bisphénol A est utilisé pour fabriquer des biberons, des bouteilles en plastique et d'autres produits courants. Ana Soto a montré chez la souris des images analogues à une cancérisation après exposition de la glande mammaire à du bisphénol A. Ces résultats sont discutés. Ces perturbateurs endocriniens se retrouvent dans l'organisme, y compris dans le lait de la mère qui nourrit son enfant au sein. Est-ce normal ?

Faut-il systématiquement faire jouer le principe de précaution ?

P. J. L'action hormonale de ces substances est évitable. La question est donc posée d'éviter les expositions.

A. S. Les preuves scientifiques sont difficiles à réunir, car la population est exposée à un cocktail de produits et à des doses faibles, mais pendant de longues périodes ou à des moments critiques. Les pesticides utilisés en appartement ont peu fait l'objet d'études. Néanmoins, il n'y a pas besoin d'attendre la preuve de la causalité pour prendre des mesures de protection. Les usines de traitement des eaux ne captent malheureusement pas les produits de dégradation de médicaments ayant des effets oestrogéniques ou antiandrogènes, à commencer par les pilules anticonceptionnelles. Il faut développer des moyens technologiques pour le faire.