Des chercheurs de l'INSU-CNRS, en collaboration avec des chimistes d'une unité CNRS, expliquent la forte conductivité du manteau supérieur par la présence de carbonates liquides. Grâce à un dispositif ultra-performant, ils ont mis en évidence la conductivité extrêmement élevée de cette forme de carbone. Publiés le 28 novembre dans Science, leurs travaux ont révélé la teneur en carbone à l'intérieur du manteau supérieur. Cette composition peut elle-même être directement liée à la quantité de dioxyde de carbone émise par 80 % des volcans. Un résultat qui prend toute son importance pour quantifier le cycle du carbone dont le rôle est majeur dans l'effet de serre.

Les géologues ont longtemps soutenu que d'importantes quantités de carbone se seraient accumulées dans le manteau depuis des milliards d'années. Mais, jusqu'à présent, très peu de preuves directes sont venues étayer cette hypothèse ; bien au contraire, les quelques échantillons de manteau recueillis à la surface contiennent de très faibles quantités de carbone. Autre constat, depuis une trentaine d'années, les scientifiques ne savent pas comment expliquer la conductivité du manteau. Ce dernier est en effet traversé par des courants électriques naturels à des profondeurs situées entre 70 et 350 km. Or, l'olivine, un minéral qui est le principal constituant du manteau supérieur, s'avère complètement isolant.

Pour expliquer ces phénomènes, les chercheurs de l'Institut des Sciences de la Terre d'Orléans (ISTO, CNRS / Université de Tours / Université d'Orléans) se sont intéressés aux carbonates liquides, l'une des formes de carbone les plus stables au sein du manteau, avec le graphite et le diamant (formes réduites de carbone). Le volcan des Massaï en Tanzanie est le seul endroit au monde où l'on peut les observer. Ailleurs, ces carbonates sont dissous dans les basaltes (constitués de silicates et forment entre 80 et 90% des roches magmatiques) et émis dans l'atmosphère sous la forme d'un gaz, le CO2.

Sur la base de mesures en laboratoire menées à l'unité CEMHTI (Conditions extrêmes et matériaux: haute température et irradiation) du CNRS, les chercheurs ont établi la forte conductivité des carbonates fondus. Celle-ci excède d'un facteur 1 000 celle du basalte, jusqu'alors reconnu comme étant le seul conducteur potentiel dans le manteau. Fabrice Gaillard (Chargé de recherche CNRS à l'ISTO) et son équipe expliquent donc la conductivité du manteau terrestre par la présence de petites quantités de carbonates liquides baignant entre les grains de la roche solide. Leurs travaux démontrent que les caractéristiques électriques de l'asthénosphère, partie conductrice du manteau supérieur, sont intimement corrélées à la quantité de carbonate que cette couche renferme. Ils soulignent également une distribution du carbone différente selon les régions et les profondeurs du manteau. Les chercheurs en ont déduit la quantité de carbone présent sous la forme de carbonate liquide directement au sein de l'asthénosphère: entre 0,003 et 0,025% de carbone y sont stockés ce qui parait faible mais permet d'expliquer la quantité de CO2 émise dans l'atmosphère par 80% des volcans (d'autres mécanismes de libération de CO2 interviennent pour les 20 % restants). Ceci représente tout de même un "réservoir" de carbone intégré dans le manteau supérieur à celui présent à la surface de la Terre. De prime importance pour quantifier le cycle du carbone qui joue un rôle majeur dans l'effet de serre, ces résultats n'ont pas d'équivalent. En effet, la teneur en CO2 émise par le volcanisme n'avait encore jamais pu être évaluée à la source (au niveau du manteau).

La présence de carbonates fondus dans l'asthénosphère a très certainement des implications majeures sur la viscosité de cette région du manteau qui permet le glissement des plaques tectoniques, phénomène sur lequel nous n'avons que peu de connaissance. Reste à étudier le comportement de ce carbonate liquide dans le solide et ses effets potentiels sur la viscosité. De plus, tout semble indiquer que l'asthénosphère renferme uniquement du carbone sous sa forme oxydée (carbonate), et non sous sa forme réduite solide (diamant). La formation du diamant reste entourée de mystère, mais les chercheurs supposent que les diamants se constitueraient à partir des carbonates liquides à la base de la lithosphère, située au-dessus de l'asthénosphère. Enfin, les mesures électriques effectuées par cette équipe sur les carbonates liquides trouvent un intérêt dans le domaine des énergies propres puisque ces matériaux peuvent être utilisés comme électrolyte dans les piles à combustible de haute température (ex: carbonate de lithium).