Mercredi 14 janvier, 19h40 - Michel Setbon, sociologue

Sociologue, Michel Setbon est directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et responsable du Centre de recherches sur le risque et sa régulation au sein de l'Ecole des hautes études en santé publique. Après avoir travaillé sur les affaires du sang contaminé et de la vache folle, il est, depuis un quart de siècle, l'un des meilleurs spécialistes des questions relatives aux crises sanitaires et à leur gestion.

Vous venez d'achever une recherche sociologique sur l'impact sur la population des différentes annonces et initiatives prises par les autorités sanitaires pour préparer les Français à une prochaine pandémie grippale. A quelles conclusions aboutissez-vous ?

Notre enquête a été menée en mai et juin 2008 auprès d'un échantillon d'un millier de personnes représentatif de la population française. Au travers d'une centaine de questions, nous avons cherché à savoir comment les Français perçoivent, comprennent et évaluent, d'une part le risque épizootique, et de l'autre celui de pandémie (vaste épidémie humaine) grippale. Il s'agissait aussi de savoir ce que les Français disent de leurs réactions à venir en cas de pandémie et quel crédit ils accordent aux annonces régulières d'une catastrophe sanitaire imminente mais toujours à venir. Paradoxalement, les connaissances sont assez précises, concrètes et adaptées pour ce qui est de la partie animale. Les choses se compliquent et deviennent plus confuses quand on commence à parler de la possibilité de pandémie grippale hautement pathogène.

Pouvez-vous préciser ?

Il existe clairement un phénomène d'érosion de la crédibilité accordée aux messages d'alerte à la pandémie grippale. Cette tendance ne concerne pas que la France. Elle est universelle. Toutes les enquêtes menées à travers les pays développés aboutissent aux mêmes conclusions : le public croit de moins en moins à la survenue d'une pandémie. En d'autres termes : plus on lance des alertes sur ce thème sans qu'elles se trouvent confirmées, plus la proportion des personnes qui pensent que cette menace se concrétisera décroît.

C'est dire l'importance que l'on doit accorder à un tel phénomène, même si le risque, lui, reste inchangé. Car plus l'incertitude se prolongera quant à la survenue de cet événement régulièrement annoncé, et moins la population sera préparée à réagir de manière adaptée et selon le tempo le plus efficace. Pour le dire autrement, nous sommes en train de revivre, dans notre modernité soucieuse d'anticipation, les situations illustrées dans Pierre et le loup, dans Le Désert des Tartares ou Le Rivage des Syrtes. On ne peut alerter de cette manière, et de façon récurrente, sur des événements possibles mais sans traduction sensible, sans un risque de démobilisation.

Peut-on, selon vous, utilement progresser et, si oui, de quelle manière ?

Il faudrait, pour commencer, prendre conscience de l'érosion du crédit accordé par le public aux alertes et de leur impact sur le niveau potentiel de mobilisation. Surtout, au vu de nos résultats, j'estime que l'erreur des pouvoirs publics réside dans leur croyance récurrente selon laquelle la population va être l'objet passif des mesures décidées, alors même qu'elle en sera le sujet, c'est-à-dire l'acteur central et imprévisible. C'est un décalage conceptuel qui est loin d'être anecdotique.

Les responsables de la politique sanitaire ne devraient pas seulement se focaliser sur la question technique : "Que faire et quelles mesures doit-on mettre en place pour contrôler la pandémie ?" La question à laquelle ils sont également confrontés est : "Comment faire pour que chaque citoyen fasse ce qui sera nécessaire pour briser le plus rapidement possible la chaîne de contagion interhumaine d'un nouveau virus grippal hautement pathogène ?" Cela tout en prévenant les phénomènes de panique et de surréaction, et ceux d'incrédulité fataliste.

Dans ce contexte, qui peut utilement, selon vous, aider et alerter les responsables sanitaires et politiques ?

La réponse n'est pas simple, mais elle passe par la connaissance sociologique des perceptions et des comportements, au même titre que celle des virus. Il s'agit, en effet, de déterminer les facteurs prédictifs de changements de comportement et de résistance au changement en période de crise sanitaire annoncée. Il existe une abondante littérature scientifique sur le sujet, certes plutôt anglo-saxonne, que nous pouvons mettre à profit. Mais il est vrai que nous sommes ici dans une situation sans précédent : on n'a jamais vu, dans l'histoire de la santé publique, une telle mobilisation collective visant à se protéger d'une menace pandémique dont personne ne peut dire quand elle se concrétisera.

Votre propos ne concerne-t-il que la menace pandémique grippale ?

Nullement. Il s'inscrit dans une dynamique générale qui fait des perceptions de toute population exposée, de ses comportements et de ses jugements sur les informations et messages sanitaires qu'on lui adresse, les variables déterminantes du succès ou de l'échec des décisions sanitaires, quelle que soit, par ailleurs, leur qualité. L'urgence sanitaire est donc de développer ce champ de recherches, un des rares susceptibles d'éclairer autant sur la cause de nos échecs que de les prévenir.

Quelle doit être l'action des médias ?

Plutôt que de n'être que les amplificateurs d'annonces catastrophiques, les journalistes gagneraient en efficacité à éclaircir, traduire et rendre compréhensibles par le public des messages trop souvent imprécis, contradictoires et confus, touchant à certaines dimensions essentielles de la pandémie grippale. Par exemple : quand et à partir de quel événement, jugé comme le signe de survenue de la pandémie, le public devra-t-il modifier ses comportements pour se protéger ? Quelles sont, parmi les nombreuses mesures protectrices envisagées, celles qui auront le plus d'efficacité pour les individus et pour la collectivité ? Bref, poser de bonnes questions.