Les galaxies actuelles, comme la Voie lactée, se sont formées au sein de courants de gaz froid. C'est ce que viennent de démontrer à l'aide de simulations numériques de haute performance une équipe d'astrophysiciens français du CEA-Irfu, de l'INSU-CNRS, des universités Paris Diderot et Pierre et Marie Curie (Unité mixte de recherches 'Astrophysique Interaction Multi-échelles' -CEA, CNRS, université. Paris Diderot-, Institut d'astrophysique de Paris -CNRS/Université Pierre et Marie Curie), et une équipe de l'Université Hébraïque de Jérusalem. Ces simulations corroborent des observations récentes via des télescopes géants, qui remettaient en question la théorie actuelle de formation des galaxies. Ces travaux font l'objet d'une publication dans Nature du 22 janvier 2009.

Les galaxies sont les constituants fondamentaux de l'Univers. Chacune d'entre elles rassemble en moyenne 100 milliards d'étoiles et s'étend sur plus de 50 000 années-lumière. Chaque galaxie se trouve au coeur d'un halo quasi-sphérique de matière noire, constituant dont la nature nous échappe encore mais que nous détectons indirectement par sa signature gravitationnelle.

Les galaxies d'aujourd'hui, comme notre Voie lactée, ont une morphologie spirale. Ce sont des disques en rotation, riches en hydrogène. Pour comprendre la formation de ces galaxies, le scénario standard se fonde sur une accrétion de gaz quasiment sphérique et sur des collisions entre galaxies plus anciennes. Il suppose que les étoiles se forment tout d'abord de façon lente et mesurée dans les galaxies spirales, puis de façon violente à l'occasion de collision entre deux spirales, conduisant à des flambées de formation stellaire de plusieurs centaines de masses solaires par an, et à la formation d'une galaxie elliptique.

Ce modèle a été récemment remis en question par de nouvelles observations réalisées par des télescopes géants, qui ont permis de sonder l'histoire de l'Univers sur plus de 10 milliards d'années en arrière, soit 3 milliards d'années après le Big Bang. Ces galaxies massives forment des étoiles à un taux de plusieurs centaines de masses solaires par an, mais ne ressemblent pas à des systèmes en collision. Elles ressemblent plutôt à de grands disques de gaz, fragmentés en plusieurs grumeaux géants, au sein desquels les étoiles se forment activement. Comment est-il possible que ces galaxies forment des étoiles si efficacement, sans mettre en jeu des collisions cosmiques entre galaxies ?

L'équipe internationale de cosmologistes auteur de la publication dans Nature, propose une nouvelle théorie de la formation des galaxies qui explique ces observations mystérieuses. Cette théorie s'appuie sur une simulation numérique d'une puissance sans précédent, réalisée par le Projet Horizon (collaboration entre le CEA, l'INSU-CNRS et les Universités regroupant une vingtaine de chercheurs et d'enseignants, experts en simulation numérique et spécialistes de la formation des structures dans l'Univers)

Cette percée a été rendue possible grâce à l'utilisation d'un programme informatique développé par le CEA-Irfu (Irfu= Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers) sur l'un des plus gros ordinateurs du monde, le 'MareNostrum' du Centre de Calcul de Barcelone (simulation ayant débuté en septembre 2006 et duré 4 mois). Les informaticiens et les astrophysiciens ont d'abord "découpé" l'Univers en plus de 3 000 mailles – la maille est le calcul de base de la simulation numérique – pour représenter sa structure ; ils ont ensuite modélisé les processus physiques en jeu dans un algorithme, pour montrer la façon dont les étoiles interagissent avec le gaz. Après quatre semaines de calcul intensif, réalisées en parallèle sur plus de 2 000 processeurs, la simulation a fait apparaître plus de 100 000 galaxies massives à l'intersection d'un réseau complexe de filaments gazeux. "La précision et la taille de cette simulation ont permis pour la première fois d'étudier en détail comment les galaxies focalisent la matière qui les constitue et qui les conduit à former des étoiles", explique Romain Teyssier, responsable du projet Horizon.

"Dans cette nouvelle théorie, la plupart des galaxies croissent par accrétion continue de gaz venant de courants froids, plutôt que par des collisions entre galaxies satellites. Nous les avons donc baptisées 'les Galaxies à Courants Froids'." En moyenne, on compte trois filaments froids par galaxie, qui s'inscrivent dans la structure à grande échelle de l'univers, ce que l'on appelle le "Cosmic Web". Comme on peut le voir sur l'image zoomée autour d'une de ces galaxies, ces courants froids pénètrent à travers le halo de matière noire et de gaz chaud jusqu'au centre, là où se trouve le disque galactique. Ainsi enrichi en gaz frais, ce dernier se fragmente en grumeaux massifs au sein desquels se forment les étoiles.

Grâce à leurs calculs, les astrophysiciens de l'équipe franco-israélienne ont pu vérifier que cette nouvelle théorie s'accorde avec les observations. Ces résultats se démarquent du scénario standard, en proposant un changement de paradigme cosmologique et une nouvelle explication pour la formation de la Voie Lactée.