Jeudi 22 janvier, 18h58 - Jean-Yves Nau

Mauvaise nouvelle pour les dizaines de millions de fumeurs qui, à travers le monde, espèrent pouvoir un jour en finir avec leur dépendance au tabac : ils ne doivent rien attendre - ou presque - des différentes formulations à base de nicotine qui, depuis une vingtaine d'années, sont officiellement proposées comme une aide au sevrage tabagique. Ils peuvent toutefois espérer que de nouvelles substances, plus efficaces, leur seront prochainement proposées pour leur permettre de mettre un terme à leur consommation.

Tels sont les enseignements, à la fois radicaux et spectaculaires, d'un travail mené par un groupe de chercheurs français dirigé par Jean-Pol Tassin (unité 7148 du CNRS, Collège de France). Cette équipe publie en effet, dans le Journal of Neuroscience daté du 21 janvier, des résultats qui permettent de comprendre pourquoi les fumeurs qui ont recours à des patchs ou à des chewing-gums à la nicotine recommencent à fumer dans plus de 80 % des cas. Ce travail s'inscrit dans une approche originale de décryptage des bases moléculaires et neurologiques de l'addiction.

Il y a trois ans, cette même équipe était parvenue à démontrer que les phénomènes de l'addiction étaient plus complexes qu'on le pensait jusqu'alors et qu'ils impliquaient notamment la participation de trois 'neuromodulateurs' et non pas d'un seul. A la différence de la centaine de neuromédiateurs qui participent à la transmission des informations de neurone à neurone, ces neuromodulateurs sont des molécules qui modulent et intensifient le phénomène de transmission des informations.

De multiples travaux avaient démontré, chez l'animal, que l'une de ces molécules - la dopamine - était très directement impliquée dans les mécanismes de dépendance aux opiacés et aux psychostimulants. Différents résultats discordants ne permettaient toutefois pas de soutenir que la dopamine était la seule molécule en cause. Les chercheurs français ont cherché à comprendre pourquoi. C'est ainsi qu'ils ont progressivement mis en lumière, à partir de travaux expérimentaux menés chez des rats et des souris de laboratoire, l'existence de mécanismes complexes impliquant trois neuromodulateurs : la dopamine, la noradrénaline et la sérotonine.

Au sein de différentes régions du système nerveux central, chacune de ces trois molécules agit, schématiquement, comme les roues d'un engrenage et se contrôle l'une l'autre. Confronté à la prise répétée de substances psychoactives, cet engrenage se découple progressivement et chaque roue se met à tourner sans contrainte. "L'intensité du plaisir, au moment de la prise de la drogue, résulte de la sensation fugace du rétablissement d'un fonctionnement harmonieux du système, explique Jean-Pol Tassin. Lorsque l'effet disparaît, le mécanisme se dérègle à nouveau, ce qui engendre des souffrances qui poussent à de nouvelles prises."

INEFFICACITÉ DES PATCHS

La publication du Journal of Neuroscience permet de comprendre l'inefficacité des patchs et des chewing-gums à la nicotine lors d'une tentative de sevrage tabagique. Les chercheurs expliquent ainsi que si la cocaïne, les amphétamines, la morphine ou l'alcool parviennent bien à induire directement le dérèglement des neuromodulateurs, la nicotine seule n'y parvient pas. "Nous observons, en revanche, que l'association de nicotine avec d'autres produits contenus dans le tabac, les inhibiteurs de monoamine oxydase (IMAO), entraîne bel et bien ce découplage", précise le professeur Tassin.

En d'autres termes, sans être associée à certains autres composants du tabac, la nicotine ne peut donc agir durablement comme produit de substitution au tabac. Les produits actuels ne sont généralement efficaces que durant quelques jours ou quelques semaines, tant que les effets des IMAO persistent, estime M. Tassin. "Pour l'heure, quelle que soit la méthode de sevrage utilisée, on estime à 50 % ou plus la proportion des personnes qui reprennent leur consommation de tabac dans les trois mois qui suivent l'arrêt, confirme le professeur Bertrand Dautzenberg, spécialiste de pneumologie (groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris). L'hypothèse du professeur Tassin est intéressante, mais elle a été élaborée à partir de travaux menés chez l'animal."

Brevetée, la découverte permet d'espérer la mise au point rapide de nouveaux produits, administrés par voie orale, d'aide au sevrage intégrant cette nouvelle donne avec une action sur les récepteurs aux IMAO. Un essai clinique de phase I sera prochainement lancé. "Il n'est pas exclu que ces composés soient efficaces dans la substitution aux autres drogues d'abus", avance Jean-Pol Tassin.