Le Monde | 23.01.09 | 15h41 - Brigitte Perucca

Elles sont fraîches, bien isolées, faciles à construire, composées de matériaux disponibles à portée de main et bon marché. Les maisons en voûte nubienne, réalisées selon une technique ancestrale revue et corrigée par un maçon français, ont commencé à conquérir l'Afrique subsaharienne. L'Association de la voûte nubienne (AVN), créée en 2000 par Thomas Granier, compte plusieurs centaines de voûtes au Burkina Faso, où elle est née et où elle prospère sous la houlette de Séri Youlou, le 'patron' burkinabé des quatre salariés de l'AVN, mais aussi au Mali, au Sénégal, au Niger, au Togo, en Guinée et au Ghana. Encore très loin de l'objectif des '100 000 toits pour le Sahel', slogan affiché par l'AVN, mais avec un rythme de construction plus qu'encourageant. 'Nous avons plus de commandes que nous pouvons en honorer', assure M. Granier.

Dans le paysage poussiéreux de la brousse, seules leurs courbes harmonieuses et leurs toits-terrasses les distinguent. La construction des voûtes nubiennes ne nécessite ni bois, ni tôle, matériaux encore utilisés dans l'immense majorité des villages. Leur espérance de vie est de cinquante ans quand celle des maisons de tôle et de terre n'excède pas dix ans. Et c'est bien pourquoi elles constituent une alternative solide pour l'avenir, estime le créateur de l'AVN.

Victime d'une déforestation et d'une démographie (au rythme de 3,1 % de croissance chaque année) galopantes, le Sahel devrait doubler sa population d'ici à 2020, atteignant plus de 100 millions d'habitants. Or "les architectures traditionnelles reposaient sur le chaume et le bois. La déforestation aidant, les gens se sont tournés progressivement vers la tôle, coûteuse car importée. C'est absurde économiquement et inconfortable pour les populations", explique-t-il. Les voûtes sont aussi utilisées comme des greniers pour les oignons, les mangues, le mil ou le coton, dont le Burkina est le premier producteur africain. Séché et stocké là, le coton y perd moins de poids.

Ce bel argumentaire n'a pas séduit tout de suite la population, sceptique au départ. "Les gens ne nous croyaient pas. Ils pensaient que tout allait s'écrouler, se moquaient de nous", raconte Séri Youlou, cultivateur et directeur de l'association.

Autour de Boromo, petite ville du centre du pays et fief de l'AVN, les constructions se multiplient à la grande satisfaction de l'équipe dont le pari repose sur l'essaimage. Des maçons, formés par l'association, proposent leurs services à la population rurale sans nécessairement transiter par l'AVN. "Notre but est que se crée un rapport le plus direct possible entre les maçons et les clients, afin que les habitants s'approprient des compétences entrepreneuriales", souligne Thomas Granier.

UNE MAISON EN VINGT-CINQ JOURS

Janvier, c'est un peu le mois idéal pour construire sa maison. Les récoltes sont passées, les mois chauds sont encore devant. Dans le village de Petit-Balé, près de Boromo, la dernière saison des pluies, particulièrement forte, a fait des ravages. De nombreuses maisons se sont écroulées. Pas les voûtes. Un argument de plus pour balayer les dernières réticences. Encore quelques jours et Francis, un des maçons de l'AVN qui a décidé de se mettre au travail, aura terminé le gros oeuvre.

C'est un autre des avantages de cette technique : une bonne semaine pour les fondations, deux semaines pour tout le reste. En vingt-cinq jours, on peut avoir fini sa maison. Le tarif, pour les fondations, variera de 50 000 (76 euros environ) à 150 000 francs CFA, selon que le futur propriétaire fabrique lui-même ses briques ou les achète, paie la main-d'oeuvre ou se fait aider en échange d'autres services, etc. Toutes les solutions sont possibles. Bien moins que les 110 000 francs CFA à débourser pour une maison "classique" de taille équivalente, rien que pour les tôles.

Maçon, Francis sait "tirer la voûte". Ce qui, selon la classification professionnelle établie par l'AVN, le place au "niveau 3", après les apprentis, mais avant les catégories de "chef de chantier" et d'entrepreneur en maçonnerie.

Car la voûte nubienne n'est pas qu'une affaire d'habitat. C'est aussi l'occasion de former des ouvriers et des artisans d'autant plus efficacement que la formation se propage par des cooptations : un niveau 3 forme à son tour un apprenti et ainsi de suite. Le procédé, très simple, le permet. L'AVN compte 120 maçons, apprentis non compris, ce qui lui a permis, aidée en cela par la formidable mobilité africaine, d'ouvrir des chantiers dans la sous-région. Des ouvriers burkinabés sont allés former leurs homologues à Ségou, au Mali, pays où l'association ouvrira, début février, un bureau. Et les réserves de main-d'oeuvre sont énormes.

Passée en quelques mois du monde des ONG à celui de l'entrepreneuriat social, l'association se professionnalise. Après avoir bénéficié des subsides des fondations Hermès et Veolia, elle a décroché une aide de la CFAO (groupe PPR) de 90 000 euros sur trois ans. Mais l'AVN veut surtout s'appuyer sur les "investisseurs sociaux". Exemple : une mise de 5 euros par mois pendant trois ans permet la construction de 16 m2 de bâtiment. Le concept a déjà séduit 1 200 personnes, indique l'AVN. L'horizon des "5 % de gens vivant dans ou par les voûtes" est encore loin, mais il n'est plus inaccessible.