Paul Benkimoun

La maladie d'Alzheimer pourrait-elle être qualifiée de 'diabète cérébral' ? Deux articles récents éclairent les liens entre ces deux pathologies. D'une part, le risque de développer une maladie d'Alzheimer est accru par la survenue d'un diabète, ce d'autant plus que ce dernier est apparu avant 65 ans. D'autre part, l'insuline, hormone-clé qui abaisse le taux de sucre dans le sang, aurait un rôle protecteur sur les connexions entre cellules nerveuses impliquées dans la mémoire.

La maladie d'Alzheimer est la forme la plus répandue de démence. Elle est caractérisée notamment par l'accumulation pathologique d'une protéine, normalement éliminée, la protéine bêta-amyloïde. D'autres formes de démence existent, résultant de pathologies des vaisseaux sanguins du cerveau. Or il semble bien que les facteurs de risques vasculaires, que sont l'hypertension artérielle, les taux excessifs de cholestérol et le diabète, favorisent non seulement les démences vasculaires, mais aussi la maladie d'Alzheimer.

Xu Wieili (Institut Karolinska, Stockholm) et une équipe américano-suédoise rendent compte, dans le numéro de janvier de la revue Diabetes, des résultats d'une étude conduite sur plus de 13 000 jumeaux - l'intérêt de ce type de recherche étant d'éliminer les facteurs génétiques. Parmi ces jumeaux, 467 présentaient une démence, dont 292 cas de maladie d'Alzheimer, et près de 1 400 étaient diabétiques.

Les résultats sur les paires discordantes de jumeaux montrent que l'apparition précoce - avant 65 ans - d'un diabète de type 2, où une production d'insuline subsiste mais reste inefficace, multiplie beaucoup plus fortement (d'un facteur 2,4) le risque d'avoir une démence qu'un diabète apparaissant après 65 ans. "Des facteurs génétiques et environnementaux pourraient contribuer à l'association entre un diabète d'apparition tardive et une démence, mais l'environnement chez l'adulte (alimentation et mode de vie) pourrait être responsable de l'association entre diabète à un âge moyen et démence", concluent les auteurs de l'article.

STRESS OXYDATIF

L'autre publication, dans le numéro du 10 février des Annales de l'Académie nationale des sciences américaine (PNAS), est due à des chercheurs brésiliens et américains. Fernanda De Felice (Northwestern University, Evanston, Illinois, et université fédérale de Rio de Janeiro) et ses collègues ont mis en évidence in vitro un mécanisme protégeant les connexions entre les neurones (synapses) de la détérioration provoquée par la protéine bêta-amyloïde. Des molécules solubles provenant de cette protéine se lient en effet à certaines synapses, engendrant un stress oxydatif, des altérations et des déplacements de récepteurs cruciaux pour les mécanismes de plasticité neuronale et de mémorisation.

Pour cette étude, l'équipe américano-brésilienne a utilisé des neurones de l'hippocampe, une structure cérébrale indispensable à la mémoire. Mis en culture en présence des molécules solubles provenant de la protéine bêta-amyloïde, ces neurones sont endommagés. Mais l'adjonction d'insuline empêche l'action néfaste de ces molécules en diminuant leur capacité de se lier aux neurones.

Cette étude suggère l'éventualité d'un troisième type de diabète, où l'action de l'insuline sur le cerveau serait diminuée, entre autres avec l'âge. La possibilité de s'opposer in vitro à l'action négative de la protéine amyloïde sur les neurones grâce à l'insuline fait naître l'espoir de freiner, voire d'améliorer le cours de la maladie d'Alzheimer.