Stéphane Foucart

N'en déplaise à Eratosthène - qui, le premier, en calcula la circonférence, au IIIesiècle avant notre ère -, la Terre n'est pas sphérique. A l'évidence, pourtant, l'oeil - depuis l'espace, notamment - la perçoit comme telle. Mais pour les géodésiens, spécialistes du globe terrestre, les choses sont un peu plus compliquées. Car d'un point à un autre de la surface de la Terre, l'intensité de l'attraction (le champ de gravitation) varie. Si l'on représente une surface sur laquelle le potentiel de pesanteur terrestre est en tous points identique, on obtient une figure bien plus tourmentée qu'une sphère : c'est ce que les géophysiciens nomment le géoïde.

Lancé mardi 17 mars depuis le cosmodrome de Plesetsk, dans le nord de la Russie, le petit satellite européen GOCE (Gravity-Field and Steady-State Ocean Circulation Explorer) mesurera les variations régionales de la gravité terrestre avec une résolution jamais atteinte. Suffisante pour établir, à échéance d'un peu moins de deux ans, la forme de ce fameux géoïde. Pour quoi faire ? "D'abord pour établir une surface de référence qui va permettre d'unifier toutes les mesures d'altitude", répond Rune Floberghagen, responsable de la mission GOCE à l'Agence spatiale européenne (ESA).

En effet, "l'origine des altitudes est différente selon les pays", explique Sébastien Deroussi, ingénieur au laboratoire géophysique spatiale et planétaire de l'Institut de physique du globe de Paris (IPGP). "Par exemple, nous plaçons en France notre référence au niveau moyen du marégraphe de Marseille alors qu'en Belgique, c'est le niveau de la mer à Ostende qui est tenu pour l'altitude zéro", illustre le chercheur. Une différence de l'ordre de deux mètres, alors que les deux pays sont pourtant tout proches.

Depuis une quinzaine d'années les satellites d'altimétrie, - Topex, Jason-1 et Jason-2 -, permettent de cartographier la topographie des océans et des mers du globe - c'est-à-dire leurs bosses et leurs creux. Il n'y a donc pas un, mais plusieurs "niveaux de la mer". On sait par exemple que la hauteur de l'océan n'est pas le même des deux côtés de l'Atlantique. Mais ces différences de hauteur sont relatives et évaluées les unes par rapport aux autres. Les données fournies par GOCE, explique l'océanographe Stéphanie Guinehut (CLS) "vont permettre de fixer un niveau absolu pour la hauteur de l'océan".

La définition, grâce à un géoïde précis, de ce niveau de référence est très attendue par la communauté océanographique. "On sait que les grands courants océaniques créent de la topographie à la surface des océans, explique M. Deroussi. Selon que les "bosses" que nous observons par altimétrie épousent ou non le géoïde, nous saurons si elles sont dues à ces courants permanents qui jouent un rôle climatique crucial de transport de chaleur."

Ce n'est pas tout. Etablir un "zéro" universel permettra, comme le dit M. Floberghagen, "de reconnecter les enregistrements régionaux d'élévation du niveau des mers" et, ainsi, de mieux comprendre les mécanismes géophysiques sous-jacents. Car si la tendance d'augmentation du niveau moyen des mers - environ 3 mm par an depuis 1993 - est liée au changement climatique, ses fluctuations régionales, considérables, sont à attribuer aux courants marins, aux mouvements de l'écorce terrestre, etc. Sur les côtes de la Nouvelle-Guinée, la mer monte ainsi en moyenne de 2 cm par an, alors qu'elle baisse dans d'autres régions de l'océan.

Les spécialistes de la "Terre interne" sont également intéressés par les données que fournira GOCE à l'issu des vingt mois qu'il devrait passer sur orbite. Car les variations régionales du champ de gravitation terrestre donneront aussi des indications sur les écarts locaux de densité de l'écorce terrestre, du manteau, etc.

Etablir une carte aussi précise des variations de pesanteur est particulièrement complexe. L'instrument de mesurer de la gravité embarqué par GOCE est le plus précis jamais envoyé dans l'espace. Conçu par l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera),il peut détecter des fluctuations de l'ordre d'un millionième du champ de gravitation terrestre.

En outre, le satellite a dû être mis sur une orbite très basse, à environ 265 km d'altitude. Là où seuls quelques engins militaires font oeuvre d'espionnage. A cette altitude, il demeure une atmosphère résiduelle et GOCE a dû être équipé d'un petit propulseur ionique chargé de vaincre ces frottements ténus et maintenir le vaisseau à la bonne hauteur.