Pierre Le Hir

Sur un cliché, le cerveau d'un enfant normal. Sur l'autre, l'encéphale d'un jeune autiste. Les différences sont visibles à l'oeil nu : dans le second cas, la masse de la substance grise (le corps des cellules nerveuses) située dans la région temporale supérieure est réduite. D'autres dissemblances apparaissent : la substance blanche (les fibres nerveuses reliant les aires cérébrales) présente, elle aussi, des anomalies. Ce résultat, publié en 2009, dans la revue PLoS ONE, par une équipe de chercheurs français (CEA-Inserm-Assistance publique-Hôpitaux de Paris), est l'une des dernières illustrations de la force d'investigation de l'imagerie cérébrale fonctionnelle.

D'un côté, l'imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM), qui cartographie les molécules d'eau contenues à l'intérieur des tissus mous, permet de visualiser l'anatomie des structures cérébrales (matière grise et matière blanche), avec une précision millimétrique, mais aussi l'activité des circuits cérébraux in situ et in vivo, avec une précision de quelques centaines de microns et de quelques centaines de millisecondes. De l'autre, la tomographie par émission de positons (TEP), qui utilise des marqueurs radioactifs, permet de suivre le métabolisme des tissus cérébraux.

Ensemble, ces techniques, après avoir contribué à dresser la carte des aires cérébrales et de leurs fonctions, explorent aujourd'hui le théâtre d'ombre et de lumière des pathologies mentales. Un siècle après la découverte de l'inconscient, elles lèvent un coin du voile entourant la boîte noire du cerveau humain. Sans toutefois en élucider tous les mystères.

Les récents travaux sur l'autisme, qui comparent les images cérébrales par IRM de 77 enfants autistes, âgés de 2 à 16 ans, à celles de 77 enfants témoins, révèlent, chez plus de 40 % des sujets atteints de ce "trouble envahissant du développement", des anomalies particulièrement marquées au niveau du lobe temporal. Toute la question est de savoir si ces particularités peuvent être considérées comme une cause biologique de l'autisme, ou si elles en sont au contraire une conséquence.Et si la vieille querelle entre les approches biologique et psychanalytique de cette pathologie peut être ainsi tranchée.

"Avec l'imagerie cérébrale, on ne voit jamais une cause, souligne Monica Zilbovicius, directrice de recherche à l'Inserm et psychiatre, qui a participé à cette étude. Dans le cas présent, tout ce qu'on peut dire, c'est qu'on observe des modifications anatomiques accompagnant un trouble sévère, précoce et global du développement de l'enfant." Mais, ajoute-t-elle, "la compréhension des mécanismes et de la physiopathologie de ce trouble est indispensable si l'on veut le soigner". Il se trouve en effet que le lobe temporal supérieur joue un rôle essentiel dans les interactions sociales. Il intervient dans le traitement des signaux visuels et sonores, dans la reconnaissance des mouvements du corps, de la bouche et des yeux, ainsi que dans le langage. L'IRM conforte ainsi l'hypothèse que les difficultés relationnelles des autistes sont liées à un déficit de perception des stimuli sociaux. Et incite donc à mettre en œuvre des stratégies thérapeutiques axées sur la rééducation de ces fonctions défaillantes.

La neuro-imagerie s'est également penchée sur la schizophrénie. La psychose par excellence. Une étude, menée par des chercheurs français (CEA-Inserm) et anglais (Institut de psychiatrie de Londres), a comparé les lobes temporaux d'une cinquantaine d'adolescents schizophrènes, âgés de 16 ans en moyenne, et d'autant d'adolescents "sains". Dans le premier groupe a été constatée une diminution de la surface du sillon collatéral, limité par les circonvolutions de l'hippocampe qui sont impliquées dans la mémoire, l'apprentissage, la régulation émotionnelle et la reconnaissance des visages.

Là encore, inné ou acquis ? Ces altérations donnent-elles une base génétique à la psychose, ou sont-elles le résultat, transcrit dans la morphologie du cerveau, de facteurs environnementaux et du vécu du sujet ? "Il n'y a pas une, mais des schizophrénies. Et elles sont vraisemblablement multifactorielles. Ce travail met simplement en évidence un lien avec des modifications de la maturation du cerveau, à une période de la vie - l'adolescence - où celui-ci connaît des changements très importants", répond Jean-Luc Martinot, directeur de recherche en neuro-imagerie et psychiatrie au service hospitalier Frédéric-Joliot (SHFJ) d'Orsay.

Addiction

Une autre étude révèle pourtant, chez les adolescents atteints de schizophrénie, une "déviation statistique" pour un sillon particulier, dit paracingulaire, situé à l'avant du cerveau. Ces plis, parfois absents, se trouvent, lorsqu'ils sont présents, localisés le plus souvent dans l'hémisphère cérébral gauche des sujets normaux, alors qu'ils sont répartis en nombre égal dans les deux hémisphères des schizophrènes. Or des images IRM de la formation des circonvolutions cérébrales des foetus prouvent que ces sillons se dessinent à la 32ème semaine de la grossesse. Ce qui, commente le chercheur, constitue un indice puissant de "déterminisme génétique". Et suggère, à tout le moins, une possible "vulnérabilité" liée à la maturation du cerveau à un stade très précoce, avant même la naissance.

Troubles du développement, psychoses, mais aussi addictions. Une expérience, menée par une équipe de l'Inserm et du CEA et relatée en 2008 dans Neuropsychopharmacology, a consisté à observer, par IRM, l'activité cérébrale d'anciens alcooliques (sevrés depuis plusieurs semaines ou plusieurs mois, sans complications médicales et bien insérés socialement) qui devaient reconnaître des mots en écoutant un texte. Pour réaliser les mêmes performances que des personnes non dépendantes à l'alcool, il leur a fallu mobiliser des zones du cerveau supplémentaires. Comme si les circuits normaux de la reconnaissance des mots étaient partiellement "grillés". Des examens approfondis ont montré, dans certaines régions cérébrales, une perte de matière grise atteignant jusqu'à 25 %, ainsi qu'un amoindrissement de la cohérence et de l'intégrité des fibres de matière blanche.

Aucune corrélation n'a été établie avec la durée ou l'intensité de l'alcoolisation. En revanche, la perte de substance grise est d'autant plus importante que la première consommation a été précoce. Ce qui donne une assise scientifique aux actions de prévention tournées vers les jeunes. Leur traduction politique en interdiction de vente d'alcool aux mineurs, elle, ne relève plus des neurosciences.