Laurence Caramel

Donner un prix aux services rendus par la nature

La plupart des services assurés par les écosystèmes sont aujourd'hui quasiment gratuits. Si bien que leur destruction n'a, en apparence, aucune incidence. Dans le sillage de l'économiste britannique Nicholas Stern, qui a chiffré le coût du changement climatique pour l'économie mondiale, les Nations unies ont engagé un vaste travail d'évaluation monétaire des services rendus par la nature. L'objectif est d'intégrer cette valeur à toutes les équations économiques. La France participe à l'exercice. Le Conseil d'analyse stratégique (CAS) a publié, le 29 avril, les premiers résultats de ses travaux. Le CAS, qui a étudié surtout les forêts, évalue à 970 euros en moyenne par hectare et par an la valeur liée au bois, en tenant compte des produits de cueillette mais aussi des fonctions de stockage du carbone, de recréation, etc.

En Europe, la nature disparaît à un rythme inquiétant

Faire un bilan est toujours risqué. Stavros Dimas, le commissaire européen à l'environnement, s'est prêté à l'exercice à Athènes, les 27 et 28 avril, devant la fine fleur des experts de la biodiversité. Ce bilan ne s'imposait pas seulement parce que le mandat de la Commission arrive à échéance dans quelques semaines, mais aussi parce qu'il y a sept ans, la communauté internationale s'était fixé rendez-vous en 2010 - autant dire demain - pour mesurer les progrès accomplis en matière de lutte contre la disparition des espèces et la dégradation des écosystèmes constatées sur tous les continents.

L'objectif avait été adopté par les Nations unies, mais l'Union européenne (UE) avait choisi de se montrer encore plus ambitieuse en s'engageant à "stopper l'érosion de la biodiversité" à l'horizon 2010. L'état des lieux dressé par Jacqueline McGlade, la directrice exécutive de l'Agence européenne de l'environnement (AEE), montre qu'un peu de prudence aurait évité aux Européens de devoir assumer aujourd'hui un véritable échec. "L'objectif de 2010 ne sera pas atteint et la biodiversité européenne demeure très fortement menacée", a-t-elle confirmé.

De 40 % à 70 % des espèces d'oiseaux et de 50 % à 85 % des habitats dans lesquels se déploient la faune et la flore européennes se trouvent ainsi dans "une situation de conservation critique", selon les chiffres d'un rapport que l'AEE s'apprête à publier.

A-t-on au moins réussi à ralentir la cadence à laquelle la nature dépérit sous l'effet de la fragmentation du territoire, de l'extension des villes, des routes et de l'intensification de l'agriculture ? Le débat reste ouvert.

"Au niveau mondial, la moitié de la nature a disparu depuis l'ère préindustrielle et elle recule encore au rythme de 1 % par an. C'est peut-être moins en Europe depuis la création de Natura 2000", avance Andrew Balmford, professeur à l'université de Cambridge (Royaume-Uni). Avec ses 25 000 sites couvrant 17 % du territoire européen, Natura 2000 constitue le premier réseau d'aires protégées au monde. Mais cette vitrine a surtout vocation à préserver les espèces dites "remarquables", pas la biodiversité que l'on pourrait qualifier d'ordinaire, sur laquelle repose l'essentiel des services rendus par les écosystèmes.

En 2006, l'UE a adopté un plan d'action pour la protection de la biodiversité. La mise en oeuvre n'a pas suivi. "Ce plan n'a aucun caractère contraignant. C'est sa grande faiblesse. Sans menaces de sanctions, il est illusoire de penser que les gouvernements ou les acteurs économiques prendront en compte la biodiversité", remarque Tony Long, représentant du Fonds mondial de la nature (WWF).

Les scientifiques font aussi leur mea culpa : "Nous n'avons pas réussi à démontrer pourquoi la sauvegarde de la biodiversité est si importante", a reconnu John Hutton, du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE). Alors que, grâce au travail du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), à celui de l'économiste britannique Nicholas Stern et à l'engagement de l'ancien vice-président américain Al Gore, le changement climatique s'est hissé au sommet de l'agenda mondial, la crise de la biodiversité reste dans l'ombre. Et peu d'hommes politiques en ont saisi la gravité.

"Nous n'avons pas un indicateur simple - la hausse des températures ou la concentration du CO2 dans l'atmosphère - pour nous alerter. Nous n'avons pas non plus de scénarios nous mettant en garde contre les risques à franchir certains seuils, explique Lucien Chabason, de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Enfin, nous n'avons pas encore vécu d'épisodes comme Katrina ou la canicule de 2003 pour aider à la prise de conscience du problème." Certains phénomènes commencent cependant à frapper les esprits, tels l'effondrement des stocks de poissons ou la mortalité massive des abeilles.

"Le changement climatique et la perte de biodiversité sont intimement liés, ces deux crises doivent être traitées avec la même importance", a plaidé Stavros Dimas. Les écosystèmes jouent en effet un rôle majeur dans la régulation du climat. Les experts estiment qu'ils absorbent la moitié des émissions de gaz à effet de serre émis par l'homme.

A Athènes, la Commission et les scientifiques ont appelé les Européens à redoubler d'efforts et à se doter, secteur par secteur - agriculture, équipements, aménagements du territoire, etc. -, d'objectifs chiffrés qui permettront réellement d'enrayer la destruction de la nature. Bruxelles devrait lancer prochainement une campagne pour sensibiliser les citoyens européens. En 2007, 75 % d'entre eux ignoraient la signification du mot biodiversité, selon un sondage réalisé pour la Commission.