Problème : sur trois interrupteurs situés au rez-de-chaussée, un seul commande une lampe placée à l'étage. Saurez-vous dire lequel, sachant que vous pouvez les actionner autant que vous le souhaitez, mais que vous n'avez le droit de monter qu'une seule fois au troisième ?

Cette énigme et une batterie de devinettes du même calibre ont permis de jeter une lumière nouvelle sur le phénomène d'illumination dont les plus grands génies, mais aussi le commun des mortels, font état quand ils trouvent une solution inédite. Ce que les Anglo-Saxons nomment l'"insight", c'est l'"Eurêka !" d'Archimède et le "aha" satisfait de l'amateur de jeux d'esprit, quand l'obstacle s'efface.

Or des électroencéphalogrammes (EEG) réalisés en série viennent de révéler que notre conscience est la destinataire tardive d'une solution que notre encéphale a déjà élaborée plusieurs secondes auparavant, à notre insu. Ces observations, à paraître dans le Journal of Cognitive Neuroscience, ont été conduites par une équipe anglo-américaine. "On sait que le "aha !" est une expérience subjectivement soudaine, indique Joydeep Bhattacharya (Université de Londres), cosignataire de l'article. Nous avons voulu voir si c'est aussi un phénomène neurologiquement soudain : trouver la trace neurale de l'Eurêka !"

COGITO INCOGNITO

Pour ce faire, les chercheurs ont donc soumis des étudiants à des devinettes nécessitant un saut de côté mental pour être résolues. Ils avaient trente secondes pour en prendre connaissance puis, si au bout de 60 à 90 secondes, ils n'avaient pas trouvé la solution, ils bénéficiaient d'un indice. Pendant cette épreuve, leur activité cérébrale était mesurée.

Celle-ci présentait un profil particulier lorsque le sujet était finalement capable de fournir la bonne réponse - et ce jusqu'à 8 secondes avant qu'il se déclare subitement certain de la tenir ! Une sorte de Cogito incognito. "Nous n'avons pas d'explication sur ce qui se passe réellement, précise M. Bhattacharya. Une hypothèse est que, pour résoudre ces problèmes créatifs, il faut intégrer des informations distribuées dans le cerveau, les combiner d'une façon nouvelle." Ce serait ce processus d'assemblage que les électrodes enregistreraient.

Le neuropsychologue Lionel Naccache estime que cette étude porte sur "les deux premières étapes du processus de découverte", tel que les psychologues, mais aussi des mathématiciens comme le Français Hadamard, ont tenté de le décomposer. Ce modèle comporte quatre phases, "la préparation, longue, qui a tous les stigmates de la conscience, suivie de l'incubation, période de laisser-faire, de libre association", décrit Lionel Naccache. Suivent l'illumination proprement dite et la finition "qui consiste à ciseler un matériau encore brut". Le signal observé par M. Bhattacharya et ses collègues correspondrait à l'activité d'incubation, non consciente, probablement sémantique. Mais eux-mêmes reconnaissent que le puzzle est encore loin d'être complet.

Au fait, un petit indice, pour cette histoire d'interrupteurs ? Allumez l'un d'entre eux pendant quelques minutes, puis fermez-le. Bonne illumination !

Hervé Morin