Gaëlle Dupont

Le nombre de colonies d'abeilles domestiques présentes à la surface du globe a augmenté de 45 % depuis 1961. Ce chiffre, publié jeudi 7 mai par la revue Current Biology, peut surprendre, au moment où les apiculteurs recensent des mortalités importantes dans leur cheptel, et où la mobilisation scientifique et politique autour de cette question prend de l'ampleur.

Pour parvenir à ce résultat, le chercheur argentin Marcelo Aizen et son collègue canadien Lawrence Harden ont utilisé les statistiques de l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO). Ces chiffres témoignent d'une évolution très contrastée du cheptel apicole mondial : la baisse constatée aux États-Unis et dans certains pays d'Europe est compensée par une hausse importante en Chine, en Argentine et au Canada.

'Les tendances enregistrées aux Etats-Unis et en Europe ont été très médiatisées, relève M. Aizen, mais la réalité est hétérogène. Le déclin des abeilles n'est pas un phénomène mondial, et on ne peut pas parler de crise de la pollinisation au niveau global.' Cette conclusion ne remet pas en cause l'existence de 'véritables problèmes biologiques dans certains pays, mais souligne que les solutions devraient être trouvées au niveau local et non global'.

CRISE DE LA POLLINISATION

L'étude présente l'intérêt d'analyser les seuls chiffres disponibles à l'échelle mondiale, mais ses conclusions doivent être nuancées, selon Bernard Vaissière, qui dirige le laboratoire de pollinisation et écologie des abeilles à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) d'Avignon. 'Il faut avoir conscience des limites des statistiques de la FAO, qui reposent sur les données fournies par les pays, affirme-t-il. Or, même au niveau national, nous avons le plus grand mal à disposer de données fiables.'

Principal biais : lorsque des apiculteurs perdent une partie de leur cheptel, ils remplacent les colonies mortes. Si le recensement est effectué après cette opération, les pertes n'apparaissent pas. Les lacunes statistiques sont un problème connu des spécialistes de l'abeille. Par ailleurs, les chiffres de la FAO ont déjà été contestés dans d'autres domaines : les données fournies par la Chine en matière de pêche sont, par exemple, surévaluées.

Selon les auteurs, l'augmentation globale du cheptel apicole est principalement "tirée" par la hausse de la demande mondiale de miel. "Les abeilles élevées exclusivement pour la pollinisation (des cultures) représentent une proportion mineure", affirment-ils. Des facteurs économiques peuvent expliquer la baisse du nombre de ruches dans certains pays : "Les pays producteurs se concurrencent, et il peut être plus rentable d'importer du miel que d'en produire", analyse M. Aizen.

Les chercheurs n'écartent pas l'hypothèse d'une future crise de la pollinisation. Si le stock global d'abeilles a progressé depuis 1961, la fraction de productions agricoles entièrement dépendantes des abeilles pour la pollinisation a augmenté de plus de 300 % dans le même temps. "Cette augmentation rapide pourrait entraîner des problèmes de pollinisation pour ces espèces et les espèces avoisinantes", écrivent les scientifiques.