Source: CNRS

Les organismes vivants ont développé des systèmes de régulation de leurs voies métaboliques, qui leur sont nécessaires pour survivre. Pourquoi ne pas s'inspirer de ces mécanismes afin d'améliorer notre maîtrise des flux de matière et d'énergie ?

C'est dans cette optique que des chercheurs du CNRS, de l'INRA et du CEA (du laboratoire de physiologie cellulaire végétale -CNRS / CEA / Inra / Université de Grenoble 1- en collaboration avec le Laboratoire "Bioénergétique et ingéniérie des protéines" -CNRS-) ont développé un modèle mathématique représentant les voies de biosynthèse des acides aminés (constituants de base des protéinesde l'ordre d'environ 100 picomètres -pm-) chez la plante Arabidopsis. Ce modèle a permis de reproduire fidèlement des mesures réalisées avec des plantes entières, démontrant ainsi son exactitude. Des simulations ont alors permis de comprendre qualitativement et quantitativement le fonctionnement d'un tel réseau de contrôle. Ces résultats viennent d'être publiés en ligne par la revue Molecular Systems Biology.

Imaginez qu'une usine fabrique simultanément, à partir d'un même stock de pièces détachées, plusieurs modèles de voiture à une vitesse de 20 000 voitures par seconde et qu'elle doive, de plus, adapter sa vitesse de production à un apport de pièces détachées plus ou moins efficace ainsi qu'à une demande très fluctuante des consommateurs. À ce rythme, plus d'un milliard de voitures peuvent être fabriquées en une journée. On comprend aisément qu'à cette vitesse, le moindre retard lors d'une étape puisse conduire à un chaos indescriptible.

De tels flux sont caractéristiques des processus de synthèse des petites molécules dans les organismes vivants (métabolisme). Ces derniers ont en effet été capables, au cours de l'évolution, de développer des systèmes de contrôle permettant de gérer leur production de molécules, à des vitesses parfois encore 1 000 fois plus grandes. Ces mécanismes de contrôle sont nécessaires pour éviter une rupture de stock ou un engorgement qui ralentiraient la croissance de la plante, ou tueraient les cellules, lors d'un changement dans leur environnement. Par exemple, la lumière, source d'énergie pour les plantes, peut augmenter brusquement après le passage d'un nuage ; un coup de vent peut faire baisser la température d'une dizaine de degrés, divisant ainsi la vitesse de travail dans la cellule par deux.

Partant du principe que la nature, dans sa capacité à gérer des systèmes complexes, était sans doute un bon exemple à suivre pour améliorer notre maîtrise des flux de matière et d'énergie, les chercheurs se sont fixés comme objectif de modéliser un système métabolique comprenant de nombreuses bifurcations et un réseau dense de contrôles (synergie, feedback, inhibitions, activation, doubles contrôles). Ils se sont inspirés de modèles expérimentaux pour obtenir les informations nécessaires à la mise en place du modèle mathématique:
- mesure de la vitesse à laquelle les "robots" (les enzymes -molécule, le plus souvent une protéine, permettant d'accélérer jusqu'à des millions de fois les réactions chimiques du métabolisme-) transforment ou assemblent des pièces (les métabolites).
- mesure de la sensibilité de certains "robots" (les enzymes allostériques) à différents signaux (selon les niveaux de certains stocks, ces enzymes clé travailleront plus ou moins vite).
- comptage du nombre de robots impliqués à chaque étape grâce à des anticorps reconnaissant spécifiquement ces enzymes.

Chaque brique d'information n'est pas en elle-même porteuse de sens. Mais lorsque l'ensemble de ces nombres a été assemblé dans un modèle mathématique d'un niveau de complexité très élevé, il a été possible de simuler le comportement du système et de reproduire des mesures réalisées avec des plantes entières.

Le modèle a également permis de reproduire quantitativement le comportement de certaines plantes mutantes. Ces résultats validant le modèle, des simulations, intégrant la modification de certains paramètres, ont alors été réalisées et ont permis de comprendre qualitativement et quantitativement le fonctionnement d'un tel réseau de contrôle.

Ces problématiques de contrôle rencontrées dans les systèmes vivants se rapprochent de celles rencontrées, par exemple, dans un réseau électrique. Ainsi, le modèle mathématique mis au point pourrait permettre d'améliorer l'efficacité de ce dernier. Les chercheurs s'intéressent dorénavant à d'autres systèmes métaboliques qui présentent une architecture de contrôle différente ainsi qu'à d'autres mécanismes de contrôle qui opèrent sur des gammes de temps plus lentes et qui ont pour fonction de contrôler le nombre d'enzymes.