Source: EPFL

Les gènes architectes sont essentiels à l’organisation des structures du corps pendant le développement embryonnaire. Au cours des vingt dernières années, les travaux pilotés par Denis Duboule ont permis de comprendre comment ces minuscules chefs d’orchestre dirigent les opérations de construction. Or, jusqu’à maintenant, les processus qui modulent l’activité de ces gènes eux-mêmes demeuraient une énigme. Le professeur Denis Duboule, généticien à l’Université de Genève (UNIGE) et à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne et sa collaboratrice Natalia Soshnikova apportent désormais des éléments de réponse dans la revue Science du 5 juin 2009. Leur étude montre que l’expression des gènes architectes est sous l’influence de mécanismes épigénétiques, qui modifient l’ADN sans en affecter la séquence. Ces processus deviennent réversibles au fur et à mesure que se prépare la mobilisation successive de ces gènes.

Comment des gènes répartis sur différents chromosomes peuvent-ils orchestrer l’apparition de nos membres pendant la vie embryonnaire, de façon à ce que chacun d’entre eux occupe une place précise? C’est à cette question que s’intéresse Denis Duboule dont le groupe a notamment découvert chez les mammifères l’existence d’une famille de «gènes architectes» appelés Hox.

Les gènes Hox, au nombre de 39, orchestrent le bon déroulement des opérations de construction, chacun d’entre-eux donnant une instruction précise à un moment donné de notre développement. Le scientifique a démontré que les gènes architectes se trouvaient alignés sur nos chromosomes en suivant l'ordre des structures qui vont apparaître: d'abord les éléments de l'épaule, puis ceux du bras, de l'avant-bras, pour finir avec les doigts.

Des modifications réversibles...

Disposés en petits groupes de dix, les gènes architectes sont placés dans l'ordre dans lequel ils sont exprimés. «Encore fallait-il comprendre comment s’effectue la mise en activité séquentielle de ces gènes, afin d’assurer une parfaite synchronisation des opérations», relève Natalia Soshnikova, membre de son équipe et du Pôle de recherche national Frontiers in Genetics. Après un travail minutieux et de longue haleine, la généticienne apporte des éléments de réponse: «les gènes Hox sont bloqués par des modifications biochimiques, appelées méthylations, très tôt au cours du développement de la souris».

...qui constituent un métronome

Ces modifications sont qualifiées d’épigénétiques, car elles n’induisent pas de changement dans la séquence de l’ADN lui-même. Les molécules bloqueuses agissent plutôt comme un signal, une sorte d’interrupteur moléculaire. Elles sont nécessaires pour éviter que tous les gènes architectes ne soient activés en même temps, de façon chaotique. «Notre étude montre également que cette inhibition est réversible. Les blocages seront levés progressivement, d’un bout à l’autre du groupe de gènes, au moment voulu», rapporte la scientifique. Les gènes Hox seront ainsi prêts pour leur activation successive, ce qui assurera un développement harmonieux des structures.

Les travaux des deux chercheurs mettent en évidence l’importance des mécanismes épigénétiques dans le contrôle précis de la régulation de certains gènes. Ces processus, encore inconnus il y a quelques années, prennent de plus en plus d’importance avec le temps. «Nos résultats suggèrent en outre que, dans certains cas précis, la linéarité de cette grande molécule d’ADN qui constitue nos chromosomes pourrait être utilisée, en quelque sorte, comme mesure du temps nécessaire au bon déroulement de notre programme génétique», conclut Denis Duboule.