Propos recueillis par Catherine Vincent

Quel est l'état de la biodiversité en France ? Comment les oiseaux, les papillons, les plantes se portent-ils ? Quelles conséquences les changements actuels ont-ils sur ces espèces ? Pour mieux répondre, le programme 'Vigie-Nature' du Muséum national d'histoire naturelle fédère, dans tout le pays, des réseaux d'observateurs naturalistes volontaires. Le plus ancien, chargé du Suivi temporel des oiseaux communs (STOC), vient de fêter ses vingt ans. Frédéric Jiguet, maître de conférences au Muséum, décrit les grandes évolutions révélées par ce suivi, sensiblement identiques dans tous les pays d'Europe.

Vous êtes le coordinateur scientifique du programme STOC. Quels en sont les principaux résultats ?

En vingt ans, toutes espèces confondues, la France a perdu 10 % des oiseaux communs nichant sur son territoire. Les plus touchés sont les espèces urbaines (- 20 %) et les espèces agricoles (- 20 %), puis les espèces forestières (- 11 %). Par ailleurs, on constate un déplacement global des populations de 100 km vers le nord, conséquence du réchauffement climatique.

Comment ce programme d'observation fonctionne-t-il ?

Grâce à plus d'un millier d'ornithologues bénévoles, déployés sur l'ensemble de la France. Chacun de ces volontaires assure le suivi d'un "carré" de 2 km sur 2 km, tiré au sort dans un rayon de 10 km autour du centre de sa commune. Sur ce carré, deux fois chaque printemps, il réalise dix "points d'écoute" de cinq minutes chacun, durant lesquels il relève tous les oiseaux qu'il voit et qu'il entend. En 2008, 9 000 points d'écoute ont ainsi été réalisés dans 90 départements. Et les carrés qui ont été comptés au moins une fois depuis 2001 représentent un peu plus de 1,3 % de la superficie de la France.

Comment votre groupe d'observateurs a-t-il été constitué ?

Essentiellement sur la base de coordinations régionales et départementales. Plus le réseau est décentralisé, mieux il fonctionne. Au niveau local, les gens se connaissent, et organisent naturellement des systèmes de formation : avant de se lancer, il n'est pas rare qu'un observateur en herbe accompagne pendant un an ou deux un ornithologue plus expérimenté. Résultat : à mesure que les années passent, on voit nos points d'écoute augmenter.

Or, plus il y a de points d'écoute, plus on dispose de données fiables sur des espèces un peu moins communes. Avec seulement 150 sites, nos données n'ont longtemps permis de repérer de façon fiable qu'une centaine d'espèces. Alors qu'avec 1 085 carrés en 2008, nous commençons à pouvoir suivre les 150 espèces les plus communes.

Quels sont les équivalents du STOC à l'échelle de l'Europe, et quel est leur bilan ?

Actuellement, vingt et un pays européens sont impliqués dans le recensement des populations d'oiseaux nicheurs, dont certains hors de l'Union (Norvège, Turquie, Russie). Les méthodes de relevé diffèrent légèrement d'un pays à l'autre, mais le principe est le même.

Et nous mettons toutes nos données en commun. Celles-ci montrent que la tendance observée pour la France est loin de lui être spécifique.

Si l'on considère le type d'habitat occupé par les oiseaux recensés, on peut les regrouper en quatre grands groupes : des espèces respectivement "spécialistes" des milieux agricoles, forestiers ou bâtis, et des espèces généralistes. Ce qui est global à l'Europe, et même au-delà, c'est le déclin marqué des "spécialistes". Cette réduction ne concerne pas seulement les oiseaux, mais aussi les mammifères, les araignées, les poissons et les plantes. Les généralistes, en revanche, sont parfois en augmentation, en France comme en Europe.

Le programme "Vigie-Nature" a récemment étendu sa mission de suivi à d'autres espèces...

Les oiseaux seuls ne peuvent pas nous informer sur l'évolution de l'ensemble de la biodiversité. Le Muséum a donc décidé de développer des suivis sur d'autres groupes animaux et végétaux : les chauves-souris et les papillons depuis 2006 et, depuis cette année, les escargots et les plantes. Trois autres projets sont à l'étude, sur les pollinisateurs, la biodiversité des zones humides et celle du milieu marin. Le principe est toujours le même : proposer des méthodes simples permettant de suivre l'abondance des espèces communes. Et tenter de motiver le plus grand nombre possible de participants, naturalistes amateurs ou éclairés.

Toutes les données de ce programme sont accessibles sur Internet. Est-ce un élément important de sa réussite ?

C'est important pour le grand public et pour les autorités concernées, qui peuvent consulter nos résultats à tout moment. Et c'est très gratifiant pour les bénévoles participant à la collecte des données, qui voient que leur travail ne reste pas réservé à une poignée de scientifiques. Cela renforce une des grandes vertus de ce programme, qui est d'impliquer les citoyens : en s'appropriant les résultats, ils deviennent plus intéressés et plus responsables.

La sensibilité du grand public à la biodiversité a-t-elle changé ?

Dans les années 1970-1980, on voulait sauver les espèces rares. La prise de conscience de l'urgence qu'il y avait à se préoccuper des espèces de tous les jours a été plus tardive, mais on y arrive.

On l'a vu aux élections européennes : la sensibilité à la protection de la nature est aujourd'hui beaucoup plus forte que naguère. Il y a là un terreau dont la biodiversité peut bénéficier.