Source: CNRS

Comment les frégates, ces grands oiseaux marins, font-elles pour localiser les zones riches en poissons et en calmars ? En suivant les frontières des tourbillons océaniques, répond une équipe pluridisciplinaire. Une découverte qui permettra de mieux connaître les ressources de poissons.

Trouver un calmar dans une mer où s'enchaînent les tourbillons est a priori aussi difficile que de trouver une aiguille dans une botte de foin. Pas pour les frégates du Pacifique, si l'on en croit une récente étude menée par une équipe pluridisciplinaire comprenant des chercheurs du Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiale (Legos) et du Centre d'études biologiques de Chizé (CNRS). Ces grands oiseaux marins sont capables de localiser à coup sûr les secteurs riches en poissons et en calmars dont ils se nourrissent.

Les scientifiques ont montré que les frégates du Pacifique se déplacent et pêchent spécifiquement aux frontières entre tourbillons. Il semblerait que ces zones soient le siège d'une activité biologique intense grâce aux forts remous. Ceux-ci feraient remonter les nutriments nécessaires au développement du phytoplancton, base de la chaîne alimentaire océanique, et favoriseraient sa concentration.

Pour aboutir à ce résultat, les chercheurs ont d'un côté étudié les structures résultant des tourbillons de surface de moins de 10 km de large qui se succèdent le long du canal du Mozambique – qui sépare Madagascar du continent africain. De l'autre, ils ont scruté pendant deux mois les allées et venues de huit frégates équipées de balises Argos nichant sur une île du canal, l'île Europa. Puis ils ont superposé les trajectoires des structures résultant des tourbillons de surface et celles des oiseaux: la correspondance était parfaite !

"L'aspect quantitatif est une première dans la mise en évidence de ce lien", précise Émilie Tew-Kai, de l'IRD, qui a participé à cette étude. De jour comme de nuit, sur de courtes ou longues distances, les frégates volent à la verticale des lignes séparant les tourbillons, appelées "filaments", et vont s'y nourrir. Par facilité ou par volonté ? Un peu des deux apparemment. Tout d'abord, les chercheurs supposent qu'il se crée un courant aérien particulier (il résulte des fronts intenses de température de la surface océanique localisés sur ces filaments). Les frégates, qui naviguent à 200 mètres d'altitude pendant parfois plusieurs jours, s'y laisseraient porter, ce qui serait moins fatigant pour elles, et s'arrêteraient de temps à autre pour s'alimenter. Une autre théorie est basée sur les sens de l'oiseau, qui localiserait olfactivement les zones riches en poissons. Dans les interfaces entre tourbillons, le broutage du phytoplancton par le zooplancton dégage un gaz, le DMS ou sulfure de diméthyle, qui est attirant pour plusieurs espèces d'oiseaux marins. Le DMS pourrait dériver dans les courants d'air formés au-dessus des tourbillons, qui deviendraient ainsi des "corridors odorants". Les frégates n'auraient alors qu'à remonter ces "couloirs" jusqu'à la source de cette odeur appétissante et passeraient ainsi efficacement d'une parcelle de nourriture à l'autre.

Souvent associées aux thons, dont elles peuvent voler les proies qui sautent hors de l'eau, les frégates permettent d'en localiser les bancs. La logique de déplacement des oiseaux marins intéresse donc les pêcheurs. "À l'avenir, pour protéger les espèces marines et dans l'optique d'une gestion durable de la ressource halieutique, il faudrait généraliser cette étude à d'autres espèces dans d'autres zones pour mieux comprendre leur distribution spatiale", explique Émilie Tew-Kai.