William Saletan - Traduit par Peggy Sastre

La querelle entre religion et évolution vient de prendre un tour intéressant. Au lieu d'attaquer la religion, certains darwinistes la comprennent comme un produit de l'évolution humaine. Ils débattent aujourd'hui pour savoir dans quelle mesure cette évolution est biologique. L'évolution et la biologie se séparent.

Voilà un épineux concept à discuter alors que notre époque scientifique est dominée par la biologie. Je vais tenter de vous expliquer où nous en sommes. Voici trois ans, alors que j'étais attaché à la Templeton fellowship de l'Université de Cambridge, j'ai entendu l'une de ces idées qui, non contente de s'accrocher à votre tête, commence aussi à réaménager toute votre façon de penser. Cette idée, c'était la convergence. Simon Conway Morris était le conférencier, paléontologiste de Cambridge et auteur de Life's solution. Conway Morris affirmait que l'évolution était l'explication mécanique du développement humain et animal. Mais il disait aussi que l'évolution avait lieu dans un monde ordonné. Parce que des traits similaires évoluent toujours de la même façon malgré des contextes différents, il devait y avoir quelque chose dans le monde qui favorisait de tels traits.

Fondamentalement, rien de mystique ou de religion dans cette idée. On trouve un exemple simple de cette idée dans les célèbres diagrammes de changements de phase. A certaines températures et pressions, un élément donné passera naturellement de l'état liquide à l'état gazeux. Le fait que ces transitions puissent être expliquées mécaniquement n'empêche pas le fait que les points de changements peuvent être calculés indépendamment. Dans ce sens, ils ne sont pas simplement causés par le réchauffement ou le refroidissement mais par une structure pré-existante de l'univers.

Conway Morris va plus loin. Il suggère que de telles causalités structurelles ont lieu non seulement en physique mais aussi en biologie. C'est un pari, puisque la biologie est bien plus complexe que la physique ou la chimie. En chimie ou en physique, vous pouvez faire des prédictions solides dans un ensemble limités de données et de lois. La biologie est beaucoup plus désordonnée. Avec l'émergence de la vie, les organismes venus de la chimie et de la physique ont commencé à évoluer selon de nouveaux schémas. Les explications fonctionnelles remplacent les explications chimiques. Vous ne pouvez pas partir du principe qu'un ordre sous-jacent préside l'évolution biologique de la même manière qu'un ordre sous-jacent détermine les changements de phases physiques. Mais Conway Morris suggère que, selon la convergence évolutionnaire, c'est le cas, dans une certaine mesure.

S'il a juste, deux grandes questions commencent à devenir sérieuses. La première: jusqu'où s'étire cette architecture de l'univers? Si elle influe sur le développement à des niveaux chimiques et biologiques, joue-t-elle un rôle à un niveau supérieur de complexité, c'est-à-dire sur l'esprit? Et sur le niveau d'après: la société? Existe-t-il des lois mentales et culturelles? Est-ce qu'un quelconque ordre pré-existant favorise, et donc produit par adaptation ou sélection, certains types de développements culturels?

L'autre question est: que penser de cette architecture? Est-ce les choses sont juste comme ça et voilà? Y-a-t-il une création? Y-a-t-il un dieu?

Si vous vous intéressez à ces questions - et vu que vous êtes l'avant-garde du développement culturel et biologique, ça devrait être le cas - le gars dont l'œuvre vous intéressera s'appelle Robert Wright. Deux confessions avant toute chose: de un, je considère Bob comme un ami. De deux, depuis de longues années, il me met régulièrement ma pâtée au squash. J'ai donc abandonné le squash et me suis mis à la vulgarisation scientifique. Et devinez quoi ? Il me met maintenant ma pâtée dans ce domaine. (Voyez par exemple son dernier article pour Slate sur les chamans et leurs chantage au sexe, à l'argent, et à la protection.)

Dans une série de livres  - Three Scientists and Their Gods, The Moral Animal (L'animal moral) et Nonzero - Wright a poussé, du niveau chimique aux niveaux biologiques et culturels, l'idée d'une architecture pré-existante. Il croit que la structure de notre monde a favorisé l'évolution de sociétés fondées sur la paix, le commerce, l'altruisme réciproque et les bénéfices mutuels. Son dernier livre, The Evolution of God, emmène encore plus loin l'argument: Dieu pourrait ou pourrait ne pas avoir formé notre évolution culturelle et biologique (en établissant simplement un algorithme initial), ces processus l'ont par contre définitivement formé. L'évolution du cerveau humain mène à la religion, et nos idées sur Dieu ont, par la suite, changé de concert avec le progrès culturel. Globalement, malgré les hauts et les bas de l'histoire, Dieu est devenu plus pacifique, bienfaisant et plus compatible avec une compréhension scientifique du monde.

Tout le monde ne saute pas de joie face à la version de Dieu que propose Wright. Pour beaucoup de personnes religieuses, une divinité qui n'intervient jamais dans un monde ordonné n'est pas une divinité. Mais la critique la plus intéressante est venue de scientifiques. Ils sont nombreux à ne pas apprécier le théisme, même dans la forme déistique qu'en fait Wright. Ils préfèrent les explications simples. Ils pensent que l'évolution biologique peut expliquer l'émergence de la religion et que cette forme d'explication se passe totalement de Dieu.

L'une de ces critiques scientifiques les plus notables vient de Nicholas Wade, reporter au New York Times. Wade est l'auteur de Before the Dawn, une reconstitution ingénieuse de la préhistoire humaine à partir de preuves génétiques et linguistiques. Cet automne, il sortira un autre livre: The Faith Instinct. Dans un extrait publié sur le site du Times, il est d'accord avec Wright pour dire que «la moralité a des bases génétiques et pourrait très bien avoir évolué, depuis des millénaires, dans des formes objectivement supérieures.» Mais Wade pense que la fonction originelle de la religion est claire: «apprendre, à travers la cohésion du groupe, à être moral envers ceux à l'intérieur du groupe et hostile contre ceux à l'extérieur. C'est ainsi que, dans les premières sociétés humaines, les groupes aux forts comportements religieux ont dominé des adversaires à la cohésion moindre. Nous sommes les descendants de ces groupes religieux, l'argument continue, et c'est pour cela que tout le monde ressent un instinct religieux...»

Et Wade de conclure: «la sélection naturelle explique aussi très bien pourquoi des comportements religieux ont permis de tels avantages dans les premières sociétés humaines et pourquoi ces comportements sont devenus inhérents à la nature humaine

Wright n'est pas d'accord. Pour lui, la religion est un « sous-produit secondaire» de l'évolution biologique. «La religion émerge d'un monceau de mécanismes mentaux dont les bases génétiques ont été conçues par la sélection naturelle pour poursuivre des buts sociaux», écrit-il. Ces mécanismes incluent le biais conformiste (croire la même chose que vos pairs, afin de vous intégrer), une tendance à expliquer les événements en termes d'action personnelle (parce que la machinerie mentale qui nous permet de penser la causalité a évolué dans un contexte d'interaction sociale) et l'intérêt dans une commande à distance (un biais vers les croyances qui promettent une influence sur les prédateurs, les maladies et le mauvais temps). En fonction de ces biais, nous sommes portés à croire en des divinités puissantes, jalouses et tempétueuses.

Mais Wright ne pense pas que nos systèmes de croyances religieuses qui ont suivi ont évolué de la même manière que ces mécanismes sous-jacents. Il soutient que: «l'évolution biologique n'est pas le seul grand «designer» qui travaille sur cette planète. Il y a aussi l'évolution culturelle: la transmission sélection de «mèmes» - des croyances, des habitudes, des rites, des chansons, des technologies, des théories, etc. - d'une personne à l'autre. Et l'un des critères qui forme l'évolution culturelle est l'utilité sociale; les mèmes qui permettent une plus grande fluidité sociale ont l'avantage sur les mèmes qui ne le permettent pas. L'évolution culturelle est ce qui nous a donné les entreprises, les gouvernements et les religions modernes.»

Pour Wade, sa théorie est ce qu'il appelle «une déception d'un point de vue darwinien». Ce n'est pas une «réelle évolution», conclue-t-il; c'est tout simplement le développement d'idées sur Dieu». C'est ainsi que le Dieu du titre [de Wright] ne doit rien à Darwin.»

Qui a donc raison dans ce débat? La religion est-elle un produit de la sélection naturelle, de l'évolution culturelle, ou la vérité de Dieu?

Voici une possibilité : les trois en même temps.

Je suis d'accord avec Wade pour dire que l'évolution culturelle est une métaphore exagérée. Wright déclare que «de la même manière que les gènes sont transmis d'un corps à un autre, d'une génération l'autre, les mèmes sont transmis d'esprit en esprit». Mais c'est une approximation. Les mèmes ne passent pas de génération en génération de la même façon que les gènes. Les uns demandent seulement la procréation; les autres demandent de l'éducation et un investissement parental. C'est pour cela que notre héritage culturel est vulnérable d'une façon que ne connaît pas notre héritage biologique.

D'autre part, je suis d'accord avec Wright pour dire que l'évolution biologique n'est pas le seul processus ordonné qui nous a formés. La vie s'est développée originellement à partir d'un édifice de lois physique et chimiques. La sélection naturelle n'est donc pas le premier niveau de l'ordre cosmique; c'est au moins le deuxième ou le troisième. Pourquoi supposer que l'édifice s'arrête là? Ne devrions-nous pas chercher des schémas directionnels dans notre histoire culturelle? Si de tels schémas existent, ils seront bien plus complexes que les schémas de la biologie, de la même manière que l'étaient les schémas de la biologie par rapport à ceux de la chimie et de la physique. Mais la science ne promet pas de pouvoir tout expliquer aussi facilement, ou ne serait-ce que dans les mêmes termes. Vous devez vous confronter au monde tel qu'il est et développer de nouveaux outils quand les anciens ne fonctionnent plus.

La sélection naturelle est devenue un outil prodigieux pour comprendre la biologie. Mais ce n'est pas le premier type de science que nous avons inventé, et ce ne sera pas le dernier. La notion selon laquelle de grandes composantes de notre société ou de son développement, comme la religion, se doivent d'être expliquées par la sélection naturelle n'est pas plus scientifique que celle qui veut qu'on l'explique grâce à la physique ou à la chimie. Toutes ces sciences, tous ces niveaux d'ordre, travaillent ensemble. Nous sommes des organismes physico-chimiques conçus biologiquement et orientés culturellement.

Si cette architecture complexe, à plusieurs étages, et émergeant graduellement, est le concept de Dieu vers lequel nous nous dirigeons, alors oui, Dieu est entièrement redevable à Darwin. Et Darwin doit tout à Dieu.