Source: CNRS

...sur les traces d'un charançon disparu

Lorsqu'ils ont commencé à étudier le contenu de carottes sédimentaires prélevées à Crozet, un chapelet d'îles subantarctiques, Jean-David Chapelin-Viscardi et Philippe Ponel, de l'Institut méditerranéen d'écologie et de paléoécologie (Imep) à Aix-en-Provence, ne s'attendaient pas à ce qu'un coléoptère inconnu leur révèle une page d'histoire de l'archipel. Soit le témoignage d'un bouleversement écologique survenu à la fin du XVIIIème siècle. Première surprise: les deux chercheurs observent, dans des sédiments datés entre 1400 et 1800, des restes par dizaines d'un charançon n'appartenant à aucune espèce connue. Or, comme le précise Philippe Ponel, "lorsque l'on travaille sur des fossiles récents d'insectes, la quasi-totalité des espèces observées dans les sédiments ont des représentants actuels". En l'occurrence, non seulement l'espèce est nouvelle, mais aussi le genre !

Pour en apprendre davantage, les deux entomologistes expédient les fragments de leur coléoptère, baptisé Pachnobium dreuxi, à Jean-François Voisin, au Muséum national d'histoire naturelle, à Paris. Ce spécialiste des collections subantarctiques les compare alors avec l'innombrable matériel entomologique ramené de Crozet au cours du XXème siècle et dont une fraction importante n'a pas encore été étudiée de près. C'est la deuxième surprise: il exhume deux spécimens complets qui confirment que l'insecte n'a jusqu'alors jamais été décrit. "C'est extrêmement rare de faire une découverte dans ce sens. D'abord sous forme fossile et ensuite dans des collections entomologiques contemporaines", s'enthousiasme Philippe Ponel.

Reste à comprendre comment un charançon dont les restes pullulent dans les sédiments récents a presque totalement disparu aujourd'hui (à deux spécimens près). Pour Philippe Ponel, "il faut probablement y voir la conséquence de l'arrivée de l'homme sur Crozet, à la fin du XVIIIème siècle". Découvert en 1772, l'archipel a en effet rapidement été occupé par des pêcheurs accompagnés d'un cortège d'animaux domestiques. Une hypothèse renforcée par le fait que les sédiments n'ont révélé aucune modification climatique durant cette période.

Par ailleurs, Nathalie Van der Putten, au département de géographie de l'université de Gand, en Belgique, qui a extrait les sédiments, a montré que la disparition de Pachnobium dreuxi coïncide non seulement avec des changements considérables dans les populations d'autres espèces d'insectes, mais aussi avec la raréfaction de certaines plantes, comme le chou des Kerguelen. "C'est la parfaite illustration de l'extrême fragilité des écosystèmes insulaires qui, du fait de leur isolement, sont sensibles à la moindre modification", conclut Philippe Ponel.