Hervé Morin (Courtine et al., in "Nature Neuroscience" du 20 septembre).

Saint-Denis, premier évêque de Paris, fut capable, dit sa légende, de marcher après avoir été décapité. Les canards sans tête font de même dans la basse-cour. Dans un cadre plus scientifique, des chats, des souris ou des rats, dont la moelle épinière a été sectionnée, peuvent recouvrer l'usage de leurs membres postérieurs, quand bien même la liaison nerveuse avec le cerveau a été interrompue.

Comment est-ce possible ? 'Il y a un siècle, Charles Sherrington (Nobel de médecine 1932) avait mis en évidence la persistance d'une activité rythmique dans la moelle épinière sectionnée. Des travaux plus récents ont montré que des circuits, baptisés générateurs de patrons locomoteurs (CPG), situés dans la partie lombaire, restent fonctionnels', explique Grégoire Courtine (université de Zurich). Il est cosignataire d'un article dans la revue Nature Neuroscience décrivant la façon dont des rats à la moelle épinière sectionnée peuvent marcher à nouveau grâce à une combinaison d'injections de molécules pharmaceutiques, de stimulation électrique et d'entraînement.

Dans le dispositif expérimental, les rats sont placés dans un harnais qui les maintient en position verticale. Ils répondent en fait automatiquement à la stimulation qu'exerce sur leurs pattes un petit tapis roulant. Quand celui-ci fonctionne, les pattes s'adaptent immédiatement au défilement, à sa vitesse et à son sens: elles peuvent aussi bien marcher en avant qu'en arrière. 'La moelle est quasiment capable de cognition, indique Grégoire Courtine : elle peut utiliser les informations sensorielles pour s'adapter aux conditions extérieures, sans connexion avec le cerveau.'

Ce phénomène n'est pas inédit. Serge Rossignol (université de Montréal), pionnier de ce type de recherche, l'avait mis en évidence chez le chat dès les années 1980. "Chez la souris et le chat, la récupération de cette rythmicité fondamentale - on ne peut pas parler de marche volontaire - peut s'obtenir sans pharmacologie, grâce à un entraînement sur tapis roulant", rappelle-t-il. Ces circuits, précise-t-il, sont génétiquement déterminés : ils sont opérationnels chez des chatons avant même que ceux-ci aient appris à marcher. Le même phénomène explique peut-être la marche automatique des nouveaux-nés humains.

Défi de la transposition à l'homme

En France, l'équipe de Didier Orsal (université Pierre-et-Marie-Curie, Paris) a mis au point une technique de greffe de neurones embryonnaires dans la moelle épinière de rat. Ces neurones émettent des prolongements et sont capables de sécréter de la sérotonine, un neurotransmetteur normalement produit par le cerveau. Ce dispositif permet, là aussi, d'activer le circuit locomoteur du rat. "Mais quand l'effet pharmacologique disparaît, l'animal ne marche plus", précise le chercheur.

Peut-on transposer ces résultats chez l'homme ? C'est déjà le cas, en ce qui concerne l'entraînement proposé à certains paraplégiques, dont la moelle n'est que partiellement lésée, pour recouvrer un peu de motricité. "On a aussi constaté que l'injection de neurotransmetteurs permet de lutter contre les escarres, apporte un meilleur contrôle des sphincters et réduit l'atrophie musculaire ", note Didier Orsal.

Mais en ce qui concerne la récupération de la locomotion, le défi reste immense : le circuit CPG n'apporte aucun contrôle volontaire du mouvement. Il faudrait l'asservir à des "neuroprothèses" capables de faire le lien avec le cerveau, dont le développement reste embryonnaire. Une autre approche vise la reconnexion des fibres nerveuses lésées, mais pour l'instant, une protéine baptisée Nogo empêche ces repousses. "Il n'y aura pas de miracle, prévient Serge Rossignol, mais je suis convaincu qu'on peut nourrir des espoirs."