Source: CNRS

Après quelques décennies d'agriculture intensive, les recherches pour purger nos sols des nombreuses substances d'origine industrielle vont bon train. Une solution prometteuse nous vient aujourd'hui... d'un banal champignon filamenteux, Podospora anserina. Fruit d'une collaboration entre trois laboratoires (Unité de biologie fonctionnelle et adaptative -Université Paris-VII-, Institut de génétique et microbiologie -CNRS / Université Paris-XI-, "Interfaces, traitements, organisation et dynamique des systèmes" -CNRS / Université Paris-VII-) associés au CNRS, une étude publiée en mai (édition en ligne de la revue Journal of Biological Chemistry) prouve que Podospora anserina est en effet capable de "digérer" des molécules polluantes en les modifiant chimiquement grâce à une de ses enzymes. Résultat: là où une autre espèce vivante aurait succombé, le champignon assimile le polluant et le transforme en un autre composé non nocif. Et le milieu s'en trouve assaini.

L'idée a germé lors de la rencontre de deux chercheurs. Philippe Silar (chercheur à l'Institut de génétique et microbiologie, professeur de l'université Paris-VII) explique à son confrère Jean-Marie Dupret (directeur de l'unité de biologie fonctionnelle et adaptative de l'université Paris-VII) à quel point les champignons représentent un incroyable réservoir d'enzymes aux propriétés étonnantes. Les scientifiques décident alors de tester la résistance de plusieurs espèces de moisissures à une classe majeure de polluants, les amines aromatiques. Deux d'entre elles survivent, ce qui signifie que ces champignons possèdent les enzymes leur permettant de mettre hors d'état de nuire ces composés aromatiques. Entre les deux rescapées, les scientifiques choisissent de concentrer leurs efforts sur Podospora anserina, déjà bien connue des laboratoires. À partir de ce champignon, les biochimistes identifient, clonent et purifient une enzyme impliquée dans ces mécanismes de résistance, qu'ils nomment PaNAT2. Reste à définir précisément son rôle.

Pour cela, et grâce à la parfaite connaissance du génome de ce champignon, l'équipe de Philippe Silar fabrique des souches mutées pour lesquelles le gène de l'enzyme PaNAT2 est inactivé. Et les mettent à l'épreuve d'un dérivé de pesticide trouvé dans certaines terres agricoles, la 3,4-dichloroaniline (3,4-DCA). Lors de ces tests réalisés en milieu liquide, environ 45 % du polluant est dégradée par la souche normale de Podospora anserina au bout de trois jours, contre seulement 5 % par la souche mutée du champignon ! "Ces résultats sans ambigüité prouvent que la voie enzymatique de PaNAT2 est bien impliquée dans la capacité de ce champignon à se nourrir de certaines molécules aromatiques" assure Jean-Marie Dupret.

L'étape suivante va s'avérer tout aussi concluante. Afin de simuler une expérience de remédiation, autrement dit de décontamination du sol, les chercheurs ajoutent 0,5 g de champignon toutes les 24 h à un mélange de terre et de 3,4-DCA. Au bout de trois jours, ils y plantent des graines de laitue, une plante choisie pour sa sensibilité connue au 3,4 DCA. Mais même avec une concentration extrême de polluant, la salade germe sans problème. Une preuve irréfutable de l'action assainissante de Podospora anserina. Qui dispose d'un autre atout non négligeable en tant que candidat à la restauration de l'équilibre des sols: son mode de multiplication. En effet, il se développe essentiellement par reproduction sexuée. Pour éviter une prolifération incontrôlable, il suffit d'inoculer des souches non compatibles sexuellement dans le milieu et le champignon disparaît au bout de quelque temps. Mais avant d'imaginer des tests sur un champ entier, l'équipe de chercheurs doit encore éclaircir quelques points: comment produire ce champignon en grande quantité? Est-il préférable de l'enfouir ou suffit-il de le déposer à la surface de la terre ? Etc. Après ces études préliminaires, les scientifiques envisageront un partenariat pour tester la méthode en grandeur nature.