Source: ULB

L’équipe du Dr Edmond Godfroid de l’Institut de Biologie et de Médecine Moléculaires de l’Université Libre de Bruxelles a découvert dans la salive de la tique une molécule ayant la capacité de prévenir la thrombose veineuse profonde, les accidents vasculaires cérébraux, les embolies pulmonaires et les accidents cardiaques. Les résultats de cette recherche viennent d’être publiés dans la très prestigieuse revue américaine Journal of Experimental Medicine. Ils donnent également lieu à la création d’une nouvelle "spin-off" au sein du Biopark Charleroi Brussels South : Bioxodes.

De l’étude de la tique

La tique se nourrit de sang aux dépens de divers hôtes vivant dans nos forêts, et occasionnellement de l’homme. Pour mener à bien ce repas sanguin, la tique a sélectionné au cours de l’évolution, des mécanismes lui permettant de contourner les défenses de ses hôtes, comme par exemple la réponse inflammatoire, la réponse immunitaire ou encore la coagulation sanguine. En effet, la tique n’est pas ou peu détectée par l’animal ou l’homme parasité ; d’aucuns ne se rappellent pas avoir été piqués ou mordus par la tique et ne la détectent éventuellement que lorsqu’elle est repue de sang. Au site de morsure, la tique déverse (sécrète) donc par sa salive un ensemble de molécules originales bloquant les mécanismes de défenses de l’hôte. Ces molécules ou protéines sont de puissants anesthésiques, des anticoagulants et des anti-inflammatoires efficaces.
Depuis plus d’une dizaine d’années, avec le soutien en particulier de la Région Wallonne, l’équipe du Dr Godfroid (Faculté des sciences, ULB) étudie à l’échelle de la molécule les relations entre la tique et son hôte. Le Dr Godfroid et son équipe ont identifié, isolé et caractérisé à partir de la salive de tiques des molécules ayant des propriétés anticoagulantes et anti-inflammatoires. Parmi ces molécules, une d’entre elles a des propriétés anti-thrombotiques remarquables. Cette petite protéine, appelée Ir-CPI, a en effet la propriété d’empêcher la formation d’un "thrombus" sans pour autant déséquilibrer la balance de la coagulation.

A la prévention de la thrombose

La thrombose ou les maladies thromboemboliques, par leurs manifestations veineuses ou artérielles sont aujourd’hui l’une des principales causes de mortalité dans le monde. La thrombose veineuse profonde, encore appelée phlébite, et sa complication, l’embolie pulmonaire, sont responsables chaque année en Europe de plus de décès que le cancer du sein, de la prostate, de l’infection par le virus du sida et les accidents de la route réunis.

Tous les ans, on estime que 1,5 millions d’Européens et 2 millions d’Américains sont affectés par cette maladie. Plus de 500.000 personnes en décèderont. La thrombose artérielle ou l’athérothrombose est la cause sous-jacente de l’infarctus du myocarde ou de l’accident vasculaire cérébral, lesquels sont responsables du tiers de tous les décès. A l’heure actuelle, un homme sur quatre et une femme sur trois décèdent toujours de leur premier infarctus, même dans les pays bénéficiant de systèmes de soins de santé à la pointe du progrès médical.

De nombreux anticoagulants existent actuellement sur le marché et permettent de réduire les effets de la maladie thromboembolique sur la santé. Ils font l’objet d’une recherche intensive par les grandes sociétés pharmaceutiques pour améliorer leur efficacité. Ils sont régulièrement administrés aux patients subissant une chirurgie lourde telle que le remplacement de la hanche ou de genou chez la personne âgée, ou encore dans le cas de chirurgie réparatrice chez les patients poly-traumatiques tels que les accidentés de la route ou du travail, ou lors de transplantation d’organe, ou enfin chez des patients ayant des problèmes de coagulation sanguine.

Cependant, la plupart des médicaments disponibles sont associés à des effets secondaires majeurs et rendent difficiles leur utilisation journalière. S’ils sont sous-dosés, ils peuvent conduire à la thrombose ; s’ils sont sur-dosés, ils peuvent provoquer des hémorragies difficilement contrôlables. Le monde médical est dès lors confronté à un véritable challenge. Il s’agit de découvrir des molécules ayant une fenêtre thérapeutique suffisamment large que pour prévenir les accidents thrombotiques et éviter les accidents hémorragiques. La protéine Ir-CPI semble appartenir à cette classe de molécules. En effet, chez l’animal, elle empêche la formation du thrombus dans des modèles de thrombose veineuse profonde, d’embolie pulmonaire et de thrombose artérielle, et ce sans altérer la balance de coagulation ni provoquer une hémorragie.

Création de la spin-off Bioxodes

Pour devenir un médicament administrable aux patients, la molécule Ir-CPI doit encore être évaluée sur le plan de la clinique humaine. C’est l’objectif de la spin-off Bioxodes. Le projet d’entreprise vise le développement des applications retenues pour Ir-CPI: la prévention de la thrombose veineuse profonde, l’embolie, l’ischémie cérébrale et les maladies coronariennes ; mais aussi le traitement de la maladie orpheline, l’angio-oedème héréditaire. Il s’agit également de piocher dans le réservoir des protéines de la salive de la tique pour identifier de nouvelles applications dans le domaine de la coagulation et de l’inflammation. Bioxodes vise à développer ces applications jusqu’au terme des essais cliniques de phase II et de donner les résultats sous licence à un grand groupe pharmaceutique.