Source: CNRS / INSU

Par une étude expérimentale en laboratoire, Stéphane Bonnet maître de conférences, chercheur au laboratoire Géosciences Rennes (INSU-CNRS/Rennes 1) vient de montrer comment le climat peut contrôler l'évolution du relief des chaînes de montagnes. Dans un article qui paraît cette semaine dans la revue Nature Geoscience, il montre comment, lorsque des contrastes climatiques et pluviométriques importants existent de part et d'autre d'une chaîne de montagnes (appelé effet orographique), la ligne de crête peut migrer et comment cette migration contrôle la géométrie des bassins versants et des réseaux hydrographiques associés. Par la définition de critères inédits qui permettent d'étudier le déplacement des lignes de crête, ces résultats ouvrent des perspectives de recherche majeures dans l'étude de l'influence du climat sur l'évolution tectonique des chaînes de montagnes.

L'idée que le climat, qui contrôle l'efficacité des processus d'érosion, puisse contrôler en partie la dynamique interne de la Terre et en particulier la structure et l'évolution tectonique des chaînes de montagnes, agite la communauté des Sciences de la Terre depuis plus d'une décennie. Les modélisations numériques de déformation de la croûte continentale montrent en effet que des variations spatiales de l'efficacité de l'érosion à la surface terrestre peuvent modifier la géométrie et la cinématique des structures tectoniques qui forment les chaînes de montagnes ainsi que la remontée des roches métamorphiques d'origine profonde vers la surface terrestre.

Les chaînes de montagnes perpendiculaires aux vents dominants et d'altitude suffisamment élevées pour perturber les circulations atmosphérique sont le siège, par effet dit orographique, de très fortes variations spatiales de climat, et en particulier de taux de précipitation. Le climat est humide du côté exposé aux vents, où l'ascension et le refroidissement des masses d'air sont à l'origine de précipitations élevées. Du fait de cet effet de barrière, un climat aride prévaut du côté sous le vent, en raison de l'assèchement des masses d'air après qu'elles aient franchi la crête de la montagne.

La croissance des chaînes de montagnes s'accompagne ainsi généralement du développement d'une très forte variation spatiale du climat, au fur et à mesure qu'elles font barrière aux circulations atmosphériques. Dans ce contexte, les crêtes qui constituent la ligne de partage des eaux d'un relief sont un élément physiographique majeur à prendre en compte dans l'étude des relations entre climat, érosion et tectonique. La ligne de partage des eaux contrôle en effet la répartition des eaux issues des précipitations entre les bassins versants qui drainent les deux flancs opposés d'un relief. Associée à un effet orographique, elle délimite alors deux domaines ou les différences de précipitation et de régimes hydrologiques peuvent influencer directement la nature et la vitesse des processus d'érosion et de transport de matière. C'est via des contrastes de vitesse d'érosion de ce type que le climat pourrait jouer un rôle sur l'évolution tectonique des chaînes de montagnes. Comprendre le devenir des lignes de crête dans les chaînes de montagnes s'avère donc fondamental pour comprendre les interactions possibles entre géodynamique interne et externe.

Les modélisations numériques suggèrent que les lignes de partage des eaux des reliefs migrent spatialement au cours du temps lorsque l'érosion d'un relief est contrôlée par un gradient de pluviométrie. Cette migration continue des lignes de crête est cependant très difficile à documenter dans les reliefs naturels, faute jusqu'à présent de marqueurs connus de cette migration.

Stéphane Bonnet a abordé ce problème par l'étude de l'érosion de mini-reliefs synthétiques en laboratoire. Dans ces expériences les reliefs sont créés par le ruissellement d'eau issue de précipitations très fines produites artificiellement, alors que l'équivalent d'un soulèvement "tectonique" est appliqué au modèle. Il en résulte la formation de reliefs d'aspect très réaliste, dont il est possible de suivre et de quantifier l'évolution au cours du temps. Lorsqu'un gradient de pluviométrie est appliqué à une expérience de ce type, une migration continue de la crête principale du modèle en direction du côté le plus aride du relief est observée, en accord avec les prédictions théoriques. Cette étude montre que de ce côté de la chaîne de montagnes, les bassins versants dont la taille diminue progressivement du fait de la migration de la ligne de partage des eaux (shrinking) se subdivisent progressivement en deux bassins versants indépendants suivant un mécanisme décrit ici pour la première fois (splitting). Cette réorganisation des réseaux de rivières se traduit dans la topographie par une série de stades évolutifs, qui peuvent ainsi servir de critères pour mettre en évidence et caractériser la migration de la ligne de crête d'une chaîne de montagnes.

Stéphane Bonnet montre que toutes les étapes de cette évolution, observées expérimentalement, peuvent être décrites dans la topographie de la Sierra Aconquija, relief tectoniquement actif du front Est des Andes, qui fait barrière aux masses nuageuses humides issues de l'Atlantique. Cette étude montre ainsi que la ligne de partage des eaux de cette montagne a migré à une vitesse de l'ordre du mm/an depuis que son altitude est suffisante pour perturber les circulations atmosphériques, soit depuis près de 3 millions d'années. Il est ainsi démontré que le climat peut induire le déplacement des lignes de crête des chaines de montagnes à une vitesse qui est du même ordre de grandeur que les vitesses de leur soulèvement liées à la tectonique des plaques.

Il est donc possible de caractériser la migration des lignes de crête des chaines de montagnes à partir de l'étude géomorphologique des bassins versants et des réseaux de rivière associés... et de constater que les nuages déplacent les montagnes.