Quantique: A vortex, vortex et demi...
Par Benje le mercredi, décembre 2 2009, 10:07 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: EPFL
Tourbillon de polaritons au laboratoire
d’optoélectronique quantique! Des physiciens de l’Ecole Polytechnique
Fédérale de Lausanne (EPFL) sont parvenus à observer pour la première
fois un phénomène que la théorie avait prédit il y a plus de 20 ans.
Les résultats font l’objet d’une publication dans Science.
Tout le monde ou presque a déjà eu l’occasion d’observer un vortex. Il
s’agit du tourbillon qui se forme quand on expédie l’eau savonneuse par
le siphon de la baignoire. Les physiciens de l’EPFL ont répété cette
expérience, mais à une toute autre échelle. Le vortex qu’ils ont créé
n’est pas tout à fait celui qu’on observe en salle de bain. Minuscule,
il prend place dans un semi-conducteur, pris en sandwich entre deux
infimes miroirs. Ephémère, il dure à peine un millième de milliardième
de seconde. Tronqué, il s’agit à proprement parler d’un demi-vortex: «Un peu comme
si dans un whisky-coca seul le whisky se mettait à tourner, le coca
restant immobile», explique Konstantinos Lagoudakis, doctorant au laboratoire d’optoélectronique quantique. Une propriété apparemment magique de la matière, comme aime à les mettre en évidence la physique des quantiques.
Si l’existence des demi-vortex avait été prédite en 1985 par le
physicien Grigori Volovik, ils n’avaient jamais pu être créés et
observés en laboratoire. C’est désormais chose faite, grâce au travail
de Konstantinos Lagoudakis. Supervisée par Benoît Deveaud-Plédran, sa
recherche fait l’objet d’une publication dans la revue Science.
Un demi-vortex ne peut exister que dans un état particulier de la
matière, appelé condensat de Bose-Einstein, dont les propriétés
diffèrent radicalement des états gazeux, liquides ou solides. Pour ce
faire, la matière doit être amenée à une température proche du zéro
absolu. Par exemple l’hélium, qui devient un condensat à -270,98 C. Il
est alors superfluide: il perd toute viscosité, à tel point qu’il s’écoule par les pores minuscules d’un récipient en verre. En outre les particules, qui d’ordinaire se comportent de manière
plutôt individualistes et se cognent les unes aux autres, sont
«phasées», selon la terminologie quantique. «Dans l’état de condensat,
si on chatouille une particule, les autres réagissent aussi. C’est
comme dans un vol d’étourneaux, où les mouvements de chaque individu sont parfaitement coordonnés», explique Benoît Deveaud-Plédran.
Pour créer leur demi-vortex, les scientifiques ont choisi de travailler
sur la particule manipulable la plus légère actuellement: le polariton.
Il est constitué d’un électron, d’un «trou» et d’un photon. Aussi surprenant cela puisse-t-il être, sa masse est inférieure à la somme de ses composants - il ne pèse qu’à peine un milliardième d’un atome d’hydrogène. Avantage: il est si léger qu’il refroidit rapidement aux
températures nécessaires pour atteindre l’état de condensat.
Désavantage: sa durée de vie n’excède pas le milliardième de seconde.
Créé à une température d’environ 350 °C, il est refroidi à -200 °C et
mesuré en moins de 10^-12 seconde.
Pour obtenir des polaritons, les physiciens disposent d’un échantillon
de semi-conducteur, recouvert d’infimes couches réfléchissantes. Ces
minuscules miroirs sont de véritables pièges à lumière. Ils n’en absorbent que quelques millièmes de pourcent, contre 20% pour un miroir conventionnel.
Les scientifiques bombardent cet échantillon avec un laser extrêmement
puissant. Quelques photons se trouvent alors piégés dans le
semi-conducteur, entre les deux micro-miroirs, où ils rebondissent
comme des boules de flipper. Certains d’entre eux interagissent avec le
semi-conducteur: un électron et un trou sont créés. Egaré, un autre
photon s’associe au duo: c’est le début de la courte vie d’un polariton.
Les polaritons ainsi créés se trouvent dans deux groupes différents,
les spin-up et les spin-down. Dans les conditions de l’expérience, les
premiers restent immobiles tandis que les seconds se mettent en
mouvement circulaire, alors même que les deux groupes de particules
sont totalement mélangés, comme le whisky au coca dans l’exemple cité
en début d’article. Il s’agit d’un demi-vortex.
Avant de parvenir à ce résultat, Konstantinos Lagoudakis a passé de longues heures à observer la surface de son semi-conducteur. Il a fini par en connaître les plus infimes
recoins. D’expérience, il sait qu’en iradiant avec son laser telle ou
telle région microscopique, il peut varier les proportions de spin-up
et de spin-down parmi les polaritons créés. En actionnant deux
molettes, il promène son regard sur la surface de l’échantillon, grand
d’à peine quelques millimètres carrés. Sur un moniteur noir et blanc se
dessine une topographie torturée, toute de bosses et de crevasses. Pour
se repérer, il a dû déployer toute une géographie imaginaire. «Ici, se trouve ce que j’appelle l’île de Saint-Louis. Ici,
un grand canyon...». Et s’il venait à perdre ce petit morceau de
matière? «Alors ma carrière scientifique est terminée» (1), répond-t-il avec un sourire distant et amusé.
(1) Benoît Devaud Plédran tient à nuancer cette conclusion: «Cela
n’est même pas vrai. La carrière de Konstantinos ne fait que commencer,
et elle est prometteuse!»