Source: EPFL

Tourbillon de polaritons au laboratoire d’optoélectronique quantique! Des physiciens de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) sont parvenus à observer pour la première fois un phénomène que la théorie avait prédit il y a plus de 20 ans. Les résultats font l’objet d’une publication dans Science.

Tout le monde ou presque a déjà eu l’occasion d’observer un vortex. Il s’agit du tourbillon qui se forme quand on expédie l’eau savonneuse par le siphon de la baignoire. Les physiciens de l’EPFL ont répété cette expérience, mais à une toute autre échelle. Le vortex qu’ils ont créé n’est pas tout à fait celui qu’on observe en salle de bain. Minuscule, il prend place dans un semi-conducteur, pris en sandwich entre deux infimes miroirs. Ephémère, il dure à peine un millième de milliardième de seconde. Tronqué, il s’agit à proprement parler d’un demi-vortex: «Un peu comme si dans un whisky-coca seul le whisky se mettait à tourner, le coca restant immobile», explique Konstantinos Lagoudakis, doctorant au laboratoire d’optoélectronique quantique. Une propriété apparemment magique de la matière, comme aime à les mettre en évidence la physique des quantiques.

Si l’existence des demi-vortex avait été prédite en 1985 par le physicien Grigori Volovik, ils n’avaient jamais pu être créés et observés en laboratoire. C’est désormais chose faite, grâce au travail de Konstantinos Lagoudakis. Supervisée par Benoît Deveaud-Plédran, sa recherche fait l’objet d’une publication dans la revue Science.

Un demi-vortex ne peut exister que dans un état particulier de la matière, appelé condensat de Bose-Einstein, dont les propriétés diffèrent radicalement des états gazeux, liquides ou solides. Pour ce faire, la matière doit être amenée à une température proche du zéro absolu. Par exemple l’hélium, qui devient un condensat à -270,98 C. Il est alors superfluide: il perd toute viscosité, à tel point qu’il s’écoule par les pores minuscules d’un récipient en verre. En outre les particules, qui d’ordinaire se comportent de manière plutôt individualistes et se cognent les unes aux autres, sont «phasées», selon la terminologie quantique. «Dans l’état de condensat, si on chatouille une particule, les autres réagissent aussi. C’est comme dans un vol d’étourneaux, où les mouvements de chaque individu sont parfaitement coordonnés», explique Benoît Deveaud-Plédran.

Pour créer leur demi-vortex, les scientifiques ont choisi de travailler sur la particule manipulable la plus légère actuellement: le polariton. Il est constitué d’un électron, d’un «trou» et d’un photon. Aussi surprenant cela puisse-t-il être, sa masse est inférieure à la somme de ses composants - il ne pèse qu’à peine un milliardième d’un atome d’hydrogène. Avantage: il est si léger qu’il refroidit rapidement aux températures nécessaires pour atteindre l’état de condensat. Désavantage: sa durée de vie n’excède pas le milliardième de seconde. Créé à une température d’environ 350 °C, il est refroidi à -200 °C et mesuré en moins de 10^-12 seconde.

Pour obtenir des polaritons, les physiciens disposent d’un échantillon de semi-conducteur, recouvert d’infimes couches réfléchissantes. Ces minuscules miroirs sont de véritables pièges à lumière. Ils n’en absorbent que quelques millièmes de pourcent, contre 20% pour un miroir conventionnel.

Les scientifiques bombardent cet échantillon avec un laser extrêmement puissant. Quelques photons se trouvent alors piégés dans le semi-conducteur, entre les deux micro-miroirs, où ils rebondissent comme des boules de flipper. Certains d’entre eux interagissent avec le semi-conducteur: un électron et un trou sont créés. Egaré, un autre photon s’associe au duo: c’est le début de la courte vie d’un polariton.

Les polaritons ainsi créés se trouvent dans deux groupes différents, les spin-up et les spin-down. Dans les conditions de l’expérience, les premiers restent immobiles tandis que les seconds se mettent en mouvement circulaire, alors même que les deux groupes de particules sont totalement mélangés, comme le whisky au coca dans l’exemple cité en début d’article. Il s’agit d’un demi-vortex.

Avant de parvenir à ce résultat, Konstantinos Lagoudakis a passé de longues heures à observer la surface de son semi-conducteur. Il a fini par en connaître les plus infimes recoins. D’expérience, il sait qu’en iradiant avec son laser telle ou telle région microscopique, il peut varier les proportions de spin-up et de spin-down parmi les polaritons créés. En actionnant deux molettes, il promène son regard sur la surface de l’échantillon, grand d’à peine quelques millimètres carrés. Sur un moniteur noir et blanc se dessine une topographie torturée, toute de bosses et de crevasses. Pour se repérer, il a dû déployer toute une géographie imaginaire. «Ici, se trouve ce que j’appelle l’île de Saint-Louis. Ici, un grand canyon...». Et s’il venait à perdre ce petit morceau de matière? «Alors ma carrière scientifique est terminée» (1), répond-t-il avec un sourire distant et amusé.

(1) Benoît Devaud Plédran tient à nuancer cette conclusion: «Cela n’est même pas vrai. La carrière de Konstantinos ne fait que commencer, et elle est prometteuse!»