Source: CNRS (Journal)

La matière la plus fabriquée par l'homme se met enfin à nu. On savait que le ciment, une fois mélangé à l'eau et solidifié, n'était ni ordonné comme un cristal ni déstructuré comme le verre, mais organisé en "grains" de quelques nanomètres de diamètre. En revanche, la structure exacte des grains résistait aux investigations des chercheurs. Grâce à une simulation numérique inédite, une équipe internationale associant des chercheurs du Centre interdisciplinaire  de nanoscience de Marseille (Cinam) et de l'Institut de technologie du Massachusetts (MIT) vient de lever le mystère: chaque grain est un empilement de feuillets à l'intérieur desquels les atomes sont disposés de manière désordonnée. C'est ce mélange d'ordre et de désordre qui confère sa solidité au matériau.

Les chercheurs ont procédé de proche en proche pour aboutir à cette structure microscopique. Ils sont partis de la structure atomique de la tobermorite, un minéral naturel de composition relativement similaire à celle du ciment solidifié (oxyde de calcium, silice et molécules d'eau), mais possédant, lui, un ordre cristallin. Ils ont ensuite manipulé cette structure en introduisant des lacunes (des trous dans l'agencement atomique) et en simulant l'impact de la prise d'eau, c'est-à-dire le durcissement du ciment après l'ajout d'eau, sur son architecture atomique. Et ce jusqu'à obtenir une structure crédible pour le ciment, qui est en fait en conformité avec les données expérimentales connues (obtenues par diffraction aux rayons X, spectroscopie infrarouge, tests de dureté...). À chaque étape, le nouvel état de la structure était déterminé par une simulation numérique, véritable clé de voûte du travail.

Premier modèle numérique précis du ciment, la simulation développée par les chercheurs est le point de départ de futures améliorations des propriétés du ciment. Par exemple, "nous regardons actuellement s'il y a moyen, en intégrant des atomes d'aluminium ou d'autres éléments, d'augmenter la résistance du ciment ou à l'inverse, dans le contexte du stockage sous-terrain des déchets nucléaires, si la présence d'un élément tel le chlore affaiblirait les propriétés mécaniques des fûts de stockage e béton, mélange de granulats et de ciment", décrit Roland Pellenq du Cinam. Le béton "vert" est également l'enjeu de ces recherches. Augmenter la résistance du béton, c'est réduire le volume nécessaire de matériau pour construire un bâtiment. La cimenterie produisant à elle seule 5 % à 10 % des émissions de CO2 industrielle, la lutte contre le réchauffement climatique passe donc par une amélioration de la tenue du ciment. C'est l'un des buts à long terme que se sont fixés les chercheurs.