Source: CNRS (Journal)

Des chercheurs viennent de reconstituer l'environnement de l'un de nos lointains parents du genre Ardipithecus: celui-ci aurait vécu dans un milieu forestier alors qu'il marchait déjà. Une découverte qui pourrait bouleverser les théories sur l'apparition de la bipédie.

Une végétation de type forêt claire, avec des palmiers, des micocouliers et des figuiers: tel était l'environnement d'Ardipithecus ramidus, ce lointain parent de l'Homo sapiens (l'homme moderne) qui vivait en Éthiopie il y a 4,4 millions d'années. C'est la conclusion d'une équipe française qui a été publiée dans un numéro spécial de la revue Science consacré à Ardipithecus, auquel participaient pas moins de 47 scientifiques (paléontologues, paléoanthropologues, biochimistes, géologues, et paléobotanistes) du monde entier. L'objectif de ces experts ? Décrire la morphologie et l'habitat de l'un des possibles premiers représentants de la lignée humaine. Quitte à contredire le lien supposé entre locomotion et environnement.

Les fossiles de cet hominidé ont été mis au jour dans la vallée de la rivière Awash. En langue Afar, ardi signifie "sol" ou "racine". Ardipithecus ramidus est donc "la racine des grands singes terrestres". Racine, car son âge le rapproche de la séparation entre la lignée des chimpanzés et celle des humains, située approximativement il y a six millions d'années. Ardipithecus pourrait donc bien avoir été l'un des pères des australopithèques, la famille d'hominidés qui a enfanté le genre Homo. Autrement dit, si Ardipithecus n'a pas été notre grand-père, il en a été au moins un cousin proche.

Les premiers fossiles d'Ardipithecus ont été extraits de leur gangue sédimentaire en 1994. Le temps notamment de récolter plus d'ossements et de développer des méthodes d'analyses végétales inédites, il aura donc fallu treize ans aux études paléoanthropologiques et environnementales pour parler. Les résultats ? Ardipithecus était à la fois bipède et arboricole. S'il utilisait ses quatre membres pour se mouvoir dans les arbres, une fois au sol, il se tenait debout et évoluait au milieu d'un environnement semi-boisé.

"La rareté des pollens dans les sédiments a stimulé nos travaux sur les fragments de bois fossilisé, les graines et enfin sur ces petites particules de silice produites par les plantes que l'on appelle phytolithes", décrit Doris Barboni, qui a codirigé avec Raymonde Bonnefille les travaux d'analyse végétale au Centre européen de recherche et d'enseignement des géosciences de l'environnement (Cerege) à Aix-en-Provence. Pour identifier les espèces à l'origine des phytolithes fossiles, les paléobotanistes ont collaboré avec des chercheurs du Centre de bio-archéologie et d'écologie (CBAE), dont Laurent Bremond, et de l'Université Paris-Ouest-La défense, à Nanterre, qui se sont rendus plusieurs fois depuis 1994 en Afrique pour prélever des échantillons dans différents types de végétation à fin de comparaison.

L'identification de graines de Celtis (auquel appartient le micocoulier méditerranéen) ainsi que la présence de bois de figuier et de palmier indiquent un climat saisonnier. D'autre part, la présence importante de graminées a été attestée par les phytolithes et les pollens. Deux paysages de type forêt claire – où le soleil atteint le sol – peuvent correspondre à cet assemblage de végétation: soit les arbres étaient regroupés en bois percés de clairières herbeuses, soit l'herbe poussait au pied d'une forêt clairsemée. Quelle hypothèse préférer ? Les analyses ne le disent pas.

En revanche, elles pointent l'abondance des arbres, estimée entre 40 et 65 % du couvert végétal, un chiffre qui va à rebours du lien supposé entre environnement et mode de locomotion. En effet, la théorie dominante veut que la bipédie soit le fruit d'une adaptation à la transformation d'un milieu boisé en une savane ouverte, la présence de hautes herbes obligeant les primates à se redresser. Ardipithecus montre que la bipédie peut très bien s'épanouir dans un paysage semi-boisé. Mais alors quel aurait été le moteur du redressement, point de départ de la longue marche évolutive vers l'humain ? A 4 millions d'années de distance, Ardipithecus vient de relancer le débat.