Et pourtant ils vivaient dans la forêt
Par Benje le lundi, janvier 18 2010, 09:20 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: CNRS (Journal)
Des chercheurs viennent de reconstituer l'environnement de l'un de nos lointains parents du genre Ardipithecus:
celui-ci aurait vécu dans un milieu forestier alors qu'il marchait
déjà. Une découverte qui pourrait bouleverser les théories sur
l'apparition de la bipédie.
Une végétation de type forêt claire, avec des palmiers, des micocouliers et des figuiers: tel était l'environnement d'Ardipithecus ramidus, ce lointain parent de l'Homo sapiens
(l'homme moderne) qui vivait en Éthiopie il y a 4,4 millions d'années.
C'est la conclusion d'une équipe française qui a été publiée dans un
numéro spécial de la revue Science consacré à Ardipithecus,
auquel participaient pas moins de 47 scientifiques (paléontologues,
paléoanthropologues, biochimistes, géologues, et paléobotanistes) du monde entier. L'objectif de ces experts ? Décrire la morphologie et l'habitat
de l'un des possibles premiers représentants de la lignée humaine.
Quitte à contredire le lien supposé entre locomotion et environnement.
Les fossiles de cet hominidé ont été mis au jour dans la vallée de la
rivière Awash. En langue Afar, ardi signifie "sol" ou "racine". Ardipithecus ramidus est donc "la racine des grands singes terrestres". Racine, car son âge le rapproche de la séparation entre la lignée des chimpanzés et celle des humains, située approximativement il y a six millions d'années. Ardipithecus pourrait
donc bien avoir été l'un des pères des australopithèques, la famille
d'hominidés qui a enfanté le genre Homo. Autrement dit, si Ardipithecus n'a pas été notre grand-père, il en a été au moins un cousin proche.
Les premiers fossiles d'Ardipithecus ont été extraits de leur gangue sédimentaire en 1994. Le temps notamment de récolter plus d'ossements et de développer des méthodes
d'analyses végétales inédites, il aura donc fallu treize ans aux études
paléoanthropologiques et environnementales pour parler. Les résultats ?
Ardipithecus était à la fois bipède et arboricole. S'il
utilisait ses quatre membres pour se mouvoir dans les arbres, une fois
au sol, il se tenait debout et évoluait au milieu d'un environnement
semi-boisé.
"La rareté des pollens dans les sédiments a stimulé nos travaux sur les
fragments de bois fossilisé, les graines et enfin sur ces petites
particules de silice produites par les plantes que l'on appelle
phytolithes", décrit Doris Barboni, qui a codirigé avec Raymonde
Bonnefille les travaux d'analyse végétale au Centre européen de
recherche et d'enseignement des géosciences de l'environnement (Cerege)
à Aix-en-Provence. Pour identifier les espèces à l'origine des
phytolithes fossiles, les paléobotanistes ont collaboré avec des
chercheurs du Centre de bio-archéologie et d'écologie (CBAE), dont
Laurent Bremond, et de l'Université Paris-Ouest-La défense, à Nanterre, qui se sont rendus plusieurs fois
depuis 1994 en Afrique pour prélever des échantillons dans différents
types de végétation à fin de comparaison.
L'identification de graines de Celtis (auquel appartient le micocoulier
méditerranéen) ainsi que la présence de bois de figuier et de palmier
indiquent un climat saisonnier. D'autre part, la présence importante de
graminées a été attestée par les phytolithes et les pollens. Deux
paysages de type forêt claire – où le soleil atteint le sol – peuvent
correspondre à cet assemblage de végétation: soit les arbres étaient
regroupés en bois percés de clairières herbeuses, soit l'herbe poussait
au pied d'une forêt clairsemée. Quelle hypothèse préférer ? Les
analyses ne le disent pas.
En revanche, elles pointent l'abondance des arbres, estimée entre 40 et
65 % du couvert végétal, un chiffre qui va à rebours du lien supposé
entre environnement et mode de locomotion. En effet, la théorie dominante veut que la bipédie soit le fruit d'une adaptation à la
transformation d'un milieu boisé en une savane ouverte, la présence de
hautes herbes obligeant les primates à se redresser. Ardipithecus montre que la bipédie peut très bien s'épanouir dans un paysage semi-boisé. Mais alors quel aurait été le moteur du redressement, point de départ de la longue marche évolutive vers l'humain ? A 4 millions d'années de distance, Ardipithecus vient de relancer le débat.