Source et illustration: EPFL

Des virus parfois anciens de centaines de millions d’années ont colonisé notre ADN. Une équipe de l’EPFL (Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne) a découvert comment notre organisme neutralise ces squatteurs. Une avancée décisive dans la compréhension de l’évolution des espèces, qui pourrait aussi ouvrir la voie à de nouvelles thérapies contre le SIDA.

La moitié environ de notre ADN ne nous appartient pas tout à fait. Il est notamment constitué de virus dits «rétrovirus endogènes»: des squatteurs, qui se sont infiltrés au cœur de nos cellules et que nous nous transmettons, de génération en génération, parfois depuis l’époque des dinosaures. Heureusement, ils restent profondément endormis. Des chercheurs de l’EPFL ont mis à jour le mécanisme permettant d’inhiber ces hôtes surprenants. Publiée dans Nature, cette découverte nous en apprend un peu plus sur les processus complexes de la sélection naturelle. Plus pragmatiquement, les travaux des lausannois pourraient aussi ouvrir la voie à de nouvelles thérapies contre les virus du SIDA ou de l’herpès.

Avant d’être endogènes, ces virus étaient des agresseurs extérieurs, ou «exogènes», comme par exemple le VIH, qui colonise les cellules sanguines. Mais les rétrovirus endogènes ont ciblé les cellules germinales – les précurseurs des ovules et spermatozoïdes. C’est pourquoi les individus touchés ont transmis les intrus à leur descendance.

Un coup d’accélérateur pour l’évolution des espèces

Ces rétrovirus endogènes ne sont pas seulement des ennemis. Ils sont aussi de formidables moteurs de l’évolution. Car ces visiteurs indésirables tendent à faire muter l’ADN de leur hôte. «Ce sont de véritables architectes du génome, explique Didier Trono, directeur de la recherche. Ils peuvent activer, désactiver ou moduler les gènes.» De fait, les grandes vagues d’apparition des rétrovirus endogènes coïncident avec des moments où, singulièrement, l’évolution semble mettre un coup d’accélérateur. «Dans notre génome, nous trouvons les traces des deux dernières vagues principales. La première a eu lieu il y a 100 millions d’années, au moment du développement des mammifères, la seconde il y a une cinquantaine de millions d’années, peu avant que n’apparaissent les premiers primates anthropoïdes.»

Lors de très anciennes pandémies, certains individus parvenaient à plonger en dormance le rétrovirus impliqué. Ils survivaient ainsi à de vraisemblables hécatombes. Leur descendance, dont nous faisons partie, a hérité de cette faculté. Pour ce faire, nos cellules fabriquent des protéines inhibitrices. Ces dernières sont capables de reconnaître une séquence virale dans notre propre ADN, et de la neutraliser. Les chercheurs lausannois ont découvert qu’une famille de gènes ne comprenant pas moins de 400 membres est impliquée dans ce processus de contrôle.

Un long sommeil interrompu

C’est dans un embryon de souris que les scientifiques de l’EPFL ont mis au jour le mécanisme. Dans les cinq ou six premiers jours de l’embryon, une armée de protéines auxiliaires se chargent de reconnaître les nombreuses séquences virales dans notre ADN. Une protéine maître, appelée KAP1, orchestre leur endormissement. «Si nous retirons KAP1 à ce moment, les autres protéines ne fonctionnent plus», explique Didier Trono. Les rétrovirus endogènes, vieux pour certains de centaines de millions d’années, se réveillent de leur long sommeil à l’intérieur de la cellule. Ils induisent d’innombrables mutations, «un peu comme une infection VIH en accéléré», compare le chercheur. L’embryon meurt.

Cette découverte pourrait permettre de nouvelles approches thérapeutiques, notamment contre le SIDA. Les chercheurs lausannois sont d’ores et déjà en train de déterminer si la protéine KAP1 est également impliquée dans la capacité du virus VIH à s’endormir temporairement dans nos cellules, et à échapper ainsi aux traitements. «Comme dans le cas des rétrovirus endogènes, ce sont peut-être nos propres cellules qui inhibent le virus pour défendre l’organisme. Ce pourrait être le même processus, mais imparfait. Nous pourrions alors imaginer réveiller les virus endormis pendant la thérapie, pour les éliminer aussi.»