Paul Benkimoun

Pourra-t-on, à l'avenir, moduler la réponse immunitaire et éviter ainsi le rejet d'un greffon ou bien le développement de maladies auto-immunes ? La perspective s'en rapproche avec la publication d'une étude apportant la preuve d'un nouveau concept : une molécule capable d'induire une tolérance immunologique tout en réduisant la toxicité du traitement immunosuppresseur. Publiée mercredi 3 février dans la revue Science Translational Medicine, l'étude a été conduite sur des singes, macaques et babouins, ayant reçu une transplantation de rein ou de cœur par l'équipe de Bernard Vanhove et Gilles Blancho (Inserm, CHU et université de Nantes), en collaboration avec des chirurgiens de la faculté de médecine de Baltimore (Maryland, États-Unis).

L'histoire commence il y a une dizaine d'années. En 1999, dans sa présentation pour le concours d'entrée au CNRS, le docteur Vanhove présente l'épure de ce que son équipe publie à présent. Après la ciclosporine sont apparues depuis le début des années 1980 des molécules aux puissantes propriétés immuno-suppressives, qui ont permis l'essor de la transplantation d'organe. L'effet de ces molécules est grevé par une toxicité, notamment sur le plan immunologique, due à une inhibition non spécifique des défenses immunitaires. 'Aucun des médicaments existants ne prévient efficacement le rejet éventuel de l'organe' greffé, soulignent les auteurs.

L'idée de Bernard Vanhove était donc de 'bloquer les récepteurs activateurs de la réponse immunitaire sans bloquer les récepteurs qui l'inhibent'. A cette époque, une population de globules blancs, les lymphocytes T, était de longue date identifiée comme 'un acteur majeur de la réponse immunitaire après une allogreffe (avec un greffon étranger) et de l'auto-immunité', rappellent les auteurs. Ces cellules jouent un rôle décisif lors d'un rejet du greffon ou quand les défenses immunitaires se retournent contre l'organisme lui-même.

L'activation des lymphocytes T est induite par la reconnaissance d'antigènes spécifiques. Elle est aussi renforcée par des molécules costimulantes venant se lier à un récepteur appelé CD28, mais aussi à un autre récepteur, et qui régulent la différenciation des lymphocytes. Ceux-ci peuvent en effet devenir soit des cellules qui répondent au stimulus de l'antigène par une action pathogène, soit des cellules T régulatrices ("Treg") anti-inflammatoires. Ces Treg inhibent les réponses excessives du système immunitaire.

"Nous avons utilisé un anticorps monoclonal dirigé contre un seul type de récepteur, en l'occurrence le récepteur CD28. Avec cet anticorps, il y a production de cellules T régulatrices et maintien du signal de régulation nécessaire pour bloquer le rejet du greffon", rapporte Bernard Vanhove. Dans l'étude, les singes greffés suivaient un traitement immunosuppresseur classique auquel était ajouté, pour une partie d'entre eux, l'anticorps monoclonal anti-CD28.

La surveillance portait sur l'importance de la présence de cellules Treg ainsi que sur l'épaississement de la paroi des vaisseaux irriguant le greffon, phénomène baptisé "rejet chronique". Le traitement immunosuppresseur classique était arrêté au bout de trois mois, tandis que l'anticorps monoclonal n'avait été administré que pendant les trois premières semaines suivant la greffe.

"Nous avons suivi une stratégie de synergie. En parvenant à une immunomodulation, nous avons pu réduire les doses d'immunosuppresseur et, par conséquent, les effets secondaires classiquement observés", souligne Bernard Vanhove. En l'état actuel, l'étude ne permet cependant pas d'affirmer qu'il y aurait moins de rejets avec cette stratégie.

Après cette démonstration de la validité de ce concept stratégique, l'équipe nantaise va s'atteler à l'étape suivante : la préparer pour de futurs essais chez l'homme. "Dans un premier temps, nous devons d'abord disposer d'une molécule qui soit administrable chez l'homme, ce qui n'est pas le cas en l'état de l'anticorps monoclonal que nous avons utilisé. Puis, viendra l'essai de phase 1, consistant à établir l'innocuité du produit. Ultérieurement, nous chercherons à établir les preuves de l'efficacité de la nouvelle molécule", indique Bernard Vanhove.

Pour l'heure, les chercheurs ne savent pas si ces futurs essais seront effectués dans le contexte de la transplantation ou s'ils viseront des maladies auto-immunes, "comme la maladie de Crohn, le psoriasis ou la sclérose en plaques, au départ desquels existe une activation des lymphocytes T", précise Bernard Vanhove.

L'équipe nantaise fait partie des centres de pointe dans le domaine de la transplantation. Elle a fait du CHU de Nantes "le premier centre européen de greffes de rein (60 % des greffes d'organe portent sur le rein), le premier centre français de double greffe rein-pancréas et l'un des leaders européens pour les greffes de pancréas".