Source et illustration: CEA

Des chercheurs du CEA (Service d’immuno virologie de l’Institut des maladies émergentes et thérapies innovantes -iMETI-, Direction des sciences du vivant du CEA, Fontenay-aux-Roses), de l’Université Paris-Sud 11, de l’INRA (UMR 703 INRA /Ecole nationale Vétérinaire, Agroalimentaire et de l’Alimentation Nantes Atlantique - Oniris) et de l’École nationale vétérinaire de Nantes-Oniris, avec la collaboration de partenaires de l’IRD, du CNRS, et des universités de la Méditerranée et de Paris Descartes, viennent de décrypter certains mécanismes de la pathologie du Chikungunya (maladie infectieuse tropicale, due à un alphavirus -noté CHIKV, pour Chikungunya virus- transmis par des moustiques du genre Aedes) grâce à un modèle animal particulièrement représentatif de ce qui se passe chez l’Homme.

Les chercheurs ont montré pour la première fois que les macrophages (cellules du système immunitaire) sont le siège de la conservation du virus dans l’organisme, suggérant leur rôle dans la persistance des symptômes observés plusieurs mois après la phase aiguë de l’infection. Ces travaux, publiés online par la revue Journal of Clinical Investigation, ouvrent des pistes pour le développement de thérapies, aussi bien préventives que curatives, pour cette pathologie qui représente un véritable enjeu de santé publique.

Entre 2005 et 2006, près de 300 000 cas de Chikungunya ont été recensés sur l’Ile de la Réunion, ce qui correspond à 38 % de la population. Près de 2 200 patients ont dû être hospitalisés et 250 sont décédés. À ce jour, il n’existe aucun vaccin ou traitement spécifique de l’infection chez l’Homme. L’émergence récente, ou la ré-émergence, du virus responsable du Chikungunya en Inde et dans les îles de l’Océan Indien, rend urgente la nécessité de mieux comprendre cette maladie afin de trouver ensuite les moyens de la prévenir.

Comprendre les mécanismes de mise en place de la maladie (pathogénèse) est particulièrement difficile chez l’Homme. D’une part parce qu’il est impossible d’obtenir des échantillons biologiques pertinents, comme les tissus profonds (foie, rate...) dans lesquels le virus se réplique et, d’autre part, du fait de la multiplicité des antécédents médicaux et des maladies chroniques des patients. En effet, les cas les plus sévères de Chikungunya sont plus fréquents chez des patients âgés et fragilisés par d’autres pathologies préexistantes (cardiaques, rénales et hépatiques...).

Comment alors trouver le virus dans l’organisme, caractériser ses interactions avec les cellules de l’hôte dans leur contexte tissulaire, comprendre les mécanismes de défense que l’individu met naturellement en place et discriminer les atteintes dues spécifiquement au virus de celles déjà existantes liées à d’autres pathologies? Quelques éléments de réponse sont apportés par des modèles de l’infection développés chez les rongeurs. Ces modèles, qui font appel à des animaux soit nouveaux nés, soit adultes mais dépourvus de défenses naturelles du fait de modifications génétiques, ne sont que très partiellement représentatifs de ce qui se passe chez l’Homme. De plus, ils sont généralement inappropriés pour tester un vaccin ou un traitement.

Forts de leur expérience sur la pathogénèse du Sida, les chercheurs ont développé un modèle de la maladie chez des macaques cynomolgus adultes ayant un système immunitaire fonctionnel et une physiologie très similaires à ceux de l’Homme. Ils ont montré que ces animaux, infectés par le virus du Chikungunya isolé chez les patients au cours de l’épidémie de l’Ile de la Réunion, présentent toutes les caractéristiques virologiques et cliniques observées chez l’Homme. Ils ont mis en évidence certaines caractéristiques propres de la pathologie comme des atteintes du foie en phase aiguë. Mais la découverte la plus marquante est le fait que ce virus infecte, notamment, des cellules impliquées dans les premières étapes des mécanismes de défense de l’organisme: les macrophages et les cellules dendritiques.

Ces cellules peuvent héberger le virus plusieurs mois et possèdent également la propriété d’infiltrer des tissus comme les articulations, les muscles, les organes lymphoïdes et le foie. Ceci peut expliquer les symptômes typiques de cette maladie, comme les douleurs musculaires et articulaires très invalidantes observées à long terme chez les patients. Les macrophages infectés, mis en évidence par les auteurs de cette étude, représentent donc une cible potentielle pour le développement de nouvelles thérapies pour les atteintes chroniques.

Ces résultats, qui permettent de mieux comprendre les mécanismes conduisant à la maladie, constituent une étape importante dans le processus de l’innovation en thérapeutique. Les chercheurs du CEA disposent maintenant des outils qui permettent de tester de nouveaux traitements en laboratoire. Ceci est essentiel puisque les traitements actuels à la disposition des médecins sont uniquement symptomatiques.

Enfin, la portée de ces observations pourrait certainement dépasser le cadre du Chikungunya. La persistance des virus dans les macrophages et les cellules dendritiques pourrait être un phénomène commun à plusieurs virus de la même famille, les arbovirus, transmis par les arthropodes.