Chikungunya: du nouveau sur la maladie
Par Benje le lundi, mars 1 2010, 06:58 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Des chercheurs du CEA (Service d’immuno virologie de l’Institut des maladies émergentes et thérapies innovantes -iMETI-, Direction des sciences du vivant du CEA, Fontenay-aux-Roses), de l’Université Paris-Sud 11, de l’INRA (UMR 703 INRA /Ecole nationale Vétérinaire, Agroalimentaire et de l’Alimentation Nantes Atlantique - Oniris) et de l’École nationale vétérinaire de Nantes-Oniris, avec la collaboration de partenaires de l’IRD, du CNRS, et des universités de la Méditerranée et de Paris Descartes, viennent de décrypter certains mécanismes de la pathologie du Chikungunya (maladie infectieuse tropicale, due à un alphavirus -noté CHIKV, pour Chikungunya virus- transmis par des moustiques du genre Aedes) grâce à un modèle animal particulièrement représentatif de ce qui se passe chez l’Homme.
Les chercheurs ont montré pour la première fois que
les macrophages (cellules du système immunitaire) sont le siège de la conservation du virus
dans l’organisme, suggérant leur rôle dans la persistance des symptômes observés plusieurs mois après la phase aiguë de l’infection. Ces travaux,
publiés online par la revue Journal of Clinical Investigation, ouvrent
des pistes pour le développement de thérapies, aussi bien préventives
que curatives, pour cette pathologie qui représente un véritable enjeu
de santé publique.
Entre 2005 et 2006, près de 300 000 cas de Chikungunya ont été recensés
sur l’Ile de la Réunion, ce qui correspond à 38 % de la population. Près
de 2 200 patients ont dû être hospitalisés et 250 sont décédés. À ce
jour, il n’existe aucun vaccin ou traitement spécifique de l’infection
chez l’Homme. L’émergence récente, ou la ré-émergence, du virus
responsable du Chikungunya en Inde et dans les îles de l’Océan Indien,
rend urgente la nécessité de mieux comprendre cette maladie afin de
trouver ensuite les moyens de la prévenir.
Comprendre les mécanismes de mise en place de la maladie (pathogénèse)
est particulièrement difficile chez l’Homme. D’une part parce qu’il est
impossible d’obtenir des échantillons biologiques pertinents, comme les
tissus profonds (foie, rate...) dans lesquels le virus se réplique et,
d’autre part, du fait de la multiplicité des antécédents médicaux et des
maladies chroniques des patients. En effet, les cas les plus sévères de
Chikungunya sont plus fréquents chez des patients âgés et fragilisés
par d’autres pathologies préexistantes (cardiaques, rénales et
hépatiques...).
Comment alors trouver le virus dans l’organisme,
caractériser ses interactions avec les cellules de l’hôte dans leur
contexte tissulaire, comprendre les mécanismes de défense que l’individu
met naturellement en place et discriminer les atteintes dues
spécifiquement au virus de celles déjà existantes liées à d’autres
pathologies? Quelques éléments de réponse sont apportés par des modèles
de l’infection développés chez les rongeurs. Ces modèles, qui font appel
à des animaux soit nouveaux nés, soit adultes mais dépourvus de
défenses naturelles du fait de modifications génétiques, ne sont que
très partiellement représentatifs de ce qui se passe chez l’Homme. De
plus, ils sont généralement inappropriés pour tester un vaccin ou un
traitement.
Forts de leur expérience sur la pathogénèse du Sida, les chercheurs ont
développé un modèle de la maladie chez des macaques cynomolgus adultes
ayant un système immunitaire fonctionnel et une physiologie très
similaires à ceux de l’Homme. Ils ont montré que ces animaux, infectés
par le virus du Chikungunya isolé chez les patients au cours de
l’épidémie de l’Ile de la Réunion, présentent toutes les
caractéristiques virologiques et cliniques observées chez l’Homme. Ils
ont mis en évidence certaines caractéristiques propres de la pathologie
comme des atteintes du foie en phase aiguë. Mais la découverte la plus
marquante est le fait que ce virus infecte, notamment, des cellules
impliquées dans les premières étapes des mécanismes de défense de
l’organisme: les macrophages et les cellules dendritiques.
Ces cellules
peuvent héberger le virus plusieurs mois et possèdent également la
propriété d’infiltrer des tissus comme les articulations, les muscles,
les organes lymphoïdes et le foie. Ceci peut expliquer les symptômes
typiques de cette maladie, comme les douleurs musculaires et
articulaires très invalidantes observées à long terme chez les patients.
Les macrophages infectés, mis en évidence par les auteurs de cette
étude, représentent donc une cible potentielle pour le développement de
nouvelles thérapies pour les atteintes chroniques.
Ces résultats, qui permettent de mieux comprendre les mécanismes
conduisant à la maladie, constituent une étape importante dans le
processus de l’innovation en thérapeutique. Les chercheurs du CEA
disposent maintenant des outils qui permettent de tester de nouveaux
traitements en laboratoire. Ceci est essentiel puisque les traitements
actuels à la disposition des médecins sont uniquement symptomatiques.
Enfin, la portée de ces observations pourrait certainement dépasser le
cadre du Chikungunya. La persistance des virus dans les macrophages et
les cellules dendritiques pourrait être un phénomène commun à plusieurs
virus de la même famille, les arbovirus, transmis par les arthropodes.