L'origine de l'accent étranger
Par Benje le dimanche, avril 4 2010, 00:02 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: CNRS
Des chercheurs du Laboratoire de psychologie
cognitive viennent de proposer et tester une hypothèse sur les
traitements cérébraux qui sont à l'origine des difficultés rencontrées
pour produire les sons d'une langue étrangère apprise après la petite
enfance. D'après leurs observations, l'accent étranger dépend de l'organisation des représentations syllabiques que nous avons de notre langue
maternelle et de cette langue étrangère. Ils montrent également que les
aires cérébrales associées à ce traitement syllabique impliquent une
zone restreinte de la partie avant gauche du cerveau. Ces travaux sont
publiés dans les revues Psychological Science et Neuroimage.
Un locuteur qui a appris une deuxième langue mais n'est pas un parfait
bilingue va souvent produire sa deuxième langue avec des sonorités
proches de la première, autrement dit avec un accent étranger. De
nombreuses études ont été consacrées aux différences entre la parole
native et la parole bilingue avec accent. Elles ont principalement
caractérisé l'acoutisque qui diffère ou non entre
les locuteurs natifs et les bilingues. Plutôt que d'étudier la parole
produite avec accent, les chercheurs du Laboratoire de psychologie
cognitive (CNRS/ Université de Provence Aix-Marseille 1)
ont essayé de comprendre les mécanismes cognitifs et cérébraux qui ont
lieu en amont, lors de la programmation et la préparation de la
parole.
En psychologie cognitive, on représente les syllabes à l'interface entre
le système linguistique et le système moteur. Elles seraient l'unité de
programmation des gestes articulatoires, dont les paramètres seraient
sensibles au contexte linguistique dans lequel elles sont produites. F.-Xavier Alario, à
Marseille, et ses collaborateurs ont testé l'hypothèse suivante:
l'origine de l'accent étranger se situe au niveau des représentations
syllabiques. Avec une question centrale: les bilingues ayant appris une
syllabe, par exemple [ba], dans leur première langue se contentent-ils
de la réutiliser lorsqu'ils parlent leur deuxième langue, ou bien
apprennent-ils un deuxième [ba] distinct approprié à leur deuxième
langue ?
Dans leurs expériences, des sujets bilingues devaient lire des
bi-syllabes sur un écran d'ordinateur et les articuler à haute voix. Ces
expériences font appel à la notion de fréquence syllabique qui définit la probabilité avec laquelle une syllabe donnée revient dans l'usage courant de la langue. Plus
une syllabe est fréquente dans une langue, plus elle est produite
facilement et donc rapidement. Les chercheurs ont ainsi mesuré le temps de réaction entre les
présentations des mots à l'écran et leur lecture à voix haute. Ils ont
choisi des syllabes qui sont fréquentes dans une langue mais peu
fréquentes dans l'autre, et réciproquement. Un locuteur qui a deux
syllabes distinctes devrait produire la syllabe facilement, et donc
rapidement, dans la langue où elle est fréquente mais plus
difficilement, et donc lentement, dans la langue où elle est rare. Au
contraire, un locuteur qui a une seule syllabe pour ses deux langues
devrait l'articuler facilement et rapidement quelle que soit la langue
parlée.
Les résultats montrent que les bilingues "tardifs", qui ont un accent
car ils ont appris leur deuxième langue après 12 ans, sont influencés
par la fréquence syllabique dans les deux langues. Par contre, les
bilingues "précoces", qui ont appris leurs deux langues avant 5 ans, ne
sont influencés que par la fréquence syllabique dans la langue qu'ils
sont en train de parler. Ces données suggèrent que la structure des
connaissances syllabiques de ces locuteurs serait à l'origine de la
présence ou l'absence d'accent étranger.
Dans une deuxième étude, conduite avec des sujets monolingues français,
les chercheurs ont observé les aires cérébrales engagées lors de la
sélection et l'articulation des syllabes. Ils ont examiné les activités
cérébrales des locuteurs grâce à un scanner d'imagerie par résonance magnétique (IRMf). D'une
manière générale, quand le cerveau réalise la même opération de façon
répétée, il finit par s'habituer et les aires cérébrales associées à
cette opération sont de moins en moins activées. Ce sont ces activations
que l'on mesure à l'IRMf.
Ici, les sujets devaient répéter des séquences qui comprenaient les
mêmes syllabes et donc les mêmes phonèmes (par exemple ze.klo, klo.ze,
ze.klo etc.) ou bien des séquences qui contenaient les mêmes phonèmes
mais des syllabes différentes (par exemple lo.fub, fu.blo, lo.fub etc.).
Au fur et à mesure des répétitions, certaines aires cérébrales
s'habituaient à la répétition du matériel linguistique. Cette
habituation sélective pour la répétition des syllabes a été observée de
façon prépondérante dans une aire du lobe frontal gauche appelé gyrus
ventral pré-moteur.
Références:
Peeva, M.G., Guenther, F.G., Tourville, J.A., Nieto-Castanon, A., Anton,
J.-L., Nazarian, B., & Alario, F.-X. (2010). Distinct
representations of phonemes, syllables, and supra-syllabic sequences in
the speech production network. Neuroimage, 50 (2), 626-638, 1er avril
2010.
Alario, F.-X., Goslin, J. Michel, V., & Laganaro, M. (2010). The
functional origin of foreign accent: Evidence from the syllable
frequency effect in bilingual speakers. Psychological Science,21 (1),
15-20, janvier 2010.