Confirmation expérimentale des théories sur la surfusion ou pourquoi l'eau ne gèle pas dans les nuages
Par Benje le vendredi, avril 23 2010, 19:58 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: CNRS
Des scientifiques du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies
alternatives (CEA) (institut nanosciences et cryogénie du CEA Grenoble), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) (Institut Néel -CNRS, Grenoble- et unité "Science et ingénierie, des matériaux et procédés" (Institut Polytechnique de
Grenoble / CNRS / Université Grenoble 1)) et de l'installation européenne de rayonnement synchrotron (ESRF) (European Synchrotron Radiation Facility)
apportent des éléments clés pour expliquer le curieux phénomène de
surfusion, cet état de la matière où un liquide ne gèle pas alors même qu'il est à
une température inférieure à son point de cristallisation. La surfusion est un phénomène que l'on peut
observer au quotidien puisque les nuages sont une accumulation de
gouttelettes d'eau en surfusion. Ces résultats sont
publiés dans la revue Nature du 22 avril 2010.
La surfusion est un état de la matière qui ne peut se produire qu'avec
un liquide très pur et ne contenant pas de germes cristallins. La pureté
extrême du liquide ne permet pas à la cristallisation de prendre,
autrement dit au liquide de geler, alors que la température est
inférieure à son point de congélation. Les nuages de haute altitude sont un bon exemple de ce phénomène: ils sont
constitués de minuscules gouttelettes d'eau qui, en raison de la pureté
de l'air, ne forment pas de glace malgré de très basses températures. L'arrangement des atomes, très chaotique, et l'absence de germe cristallin pour déclencher le
processus de cristallisation sont à l'origine du phénomène. Qu'un avion traverse le nuage et les
gouttelettes d'eau vont s'accrocher à sa structure, qui possède des
impuretés, déclencher très rapidement le processus de cristallisation et
former de la glace. C'est pour cette raison que certains avions sont
équipés de systèmes de dégivrage.
Si la surfusion a été découverte dès 1724 par Fahrenheit, de nombreuses
questions sur son mécanisme restent encore aujourd'hui sans réponse.
Actuellement, les théoriciens postulent que la structure interne des
liquides pourrait être incompatible avec la cristallisation. Des modèles
théoriques suggèrent que les atomes dans les liquides s'organisent en
pentagones. Or, pour former un cristal, il faut une structure qui peut
être répétée périodiquement, de façon à remplir tout l'espace, ce que la
forme pentagonale ne permet pas. Couvrir sans interruption un plancher
avec des pavés pentagonaux est impossible alors que cela l'est avec des
pavés triangulaires, rectangulaires ou hexagonaux. Pour que la
cristallisation puisse avoir lieu, la structure pentagonale doit être
cassée afin que les atomes se réarrangent.
Jusqu'à aujourd'hui, la preuve expérimentale que ces structures
pentagonales pouvaient être la cause de la surfusion n'avait pas été
apportée. En étudiant par rayonnement synchrotron un alliage de silicium et d'or à
l'état liquide, les chercheurs ont pu prouver que l'ordre pentagonal
était à l'origine de la surfusion. " Nous avons étudié ce qui se passe
dans un liquide en contact avec une surface sur laquelle une
structure de symétrie 5 peut être réalisée (une surface de silicium 111
avec un revêtement spécial)", explique Tobias Schülli, premier auteur de
l'article. "Nos expériences montrent qu'une surfusion très importante,
inobservée dans ces alliages jusqu'à aujourd'hui, se produit sur une
telle surface. Nous avons fait la même expérience avec des surfaces de
silicium présentant une symétrie 3 ou 4 et dans ces cas, la
cristallisation a eu lieu à des températures bien plus élevées".
C'est au cours de travaux sur la croissance de nanofils de
semi-conducteurs que les chercheurs ont découvert cette propriété des
liquides qui favorise la surfusion. En observant le premier stade de
croissance de nanofils, ils ont pu constater que l'alliage
métal/semi-conducteur utilisé restait liquide à une température bien
inférieure à son point de cristallisation, et ont décidé d'explorer le
phénomène. Ces alliages liquides attirent beaucoup l'attention car ils
permettent la croissance de structures semi-conductrices à des
températures de croissance faibles.
Les nanofils de semi-conducteurs sont des candidats prometteurs pour de
futurs dispositifs. A titre d'exemple, les chercheurs travaillent sur
l'intégration de nanofils de silicium en nanoélectronique ou dans les
cellules solaires photovoltaïques, ce qui permettrait d'augmenter le
rendement de ces dernières. La surfusion pourrait aussi avoir des
applications métallurgiques. Elle permettrait de mettre au point
certains alliages à plus basse température.