Des feuilles de plantes carnivores émettent des odeurs de fleurs pour attirer leurs proies
Par Benje le samedi, mai 1 2010, 10:30 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: CNRS
Les feuilles de la plante carnivore Nepenthes rafflesiana, en Asie du Sud-Est, miment biochimiquement les fleurs pour leurrer les insectes. Attirés par une large palette de composés volatils comparables à ceux classiquement émis par les fleurs, les insectes sont pris au piège dans les feuilles en forme d'urnes de la plante. Cette découverte, publiée dans Journal of Ecology, a été réalisée par des biologistes et des chimistes du laboratoire Botanique et bioinformatique de l'architecture des plantes et de l'Université du Brunei sur l'Île de Bornéo.
Les plantes carnivores se sont adaptées à leurs milieux pauvres en
nutriments en piégeant et digérant de petits animaux, majoritairement
des insectes. Parmi elles, les plantes de l'espèce Nepenthes
rafflesiana, abondante au Nord de Bornéo, possèdent des feuilles en
forme d'urnes contenant une "salive" gluante qui piège les insectes et
empêche leur fuite. Ces feuilles ont développé tout un éventail de
traits communs avec les fleurs: du nectar, des couleurs souvent vives ou
des guides ultraviolets qui ont de tous temps intrigué les scientifiques, à
commencer par Darwin.
En travaillant avec des chimistes, Bruno Di Giusto, Michaël Guéroult et
Laurence Gaume-Vial, écologues au laboratoire Botanique et
bioinformatique de l'architecture des plantes (AMAP,
CNRS/INRA/Cirad/IRD/Université Montpellier 2), montrent que ces feuilles
sont également capables de produire des odeurs florales pour attirer
leurs proies. A la base de cette découverte, une constatation: en
fonction de leur situation sur la plante, au ras du sol ou en hauteur,
les urnes ne capturent pas les mêmes proies. En effet, les urnes
aériennes de la plante ont une odeur agréable et piègent une gamme
variée d'insectes alors que les urnes terrestres, peu odorantes,
capturent essentiellement des fourmis.
Les chercheurs ont d'abord comparé sur le terrain les insectes visitant
ces deux types d'urnes. Les urnes aériennes, même lorsqu'elles sont
placées à terre attirent plus d'insectes que les urnes terrestres, et
notamment toute une variété d'insectes consommant habituellement le
nectar ou le pollen des fleurs: mouches, moustiques, papillons,
coléoptères, abeilles, guêpes... Ils ont ensuite réalisé des
expérimentations olfactives sur les insectes à l'aide d'olfactomètres.
Les insectes, des fourmis (visiteurs habituels de feuilles) et des
mouches (visiteurs habituels de fleurs), doivent choisir entre un
compartiment témoin contenant seulement de l'air pulsé et un autre
contenant de l'air pulsé avec des effluves d'urnes fraîchement
découpées. Les chercheurs ont constaté qu'en l'absence de stimulus
visuel les insectes allaient préférentiellement dans la partie odorante
et que les mouches étaient plus attirées par les effluves d'urnes
aériennes que les effluves d'urnes terrestres.
En parallèle, les scientifiques ont récolté les odeurs émises par les
urnes sur leurs plantes par une technique d'adsorption-désorption: ils
enferment l'urne dans un sachet plastique inodore dans lequel ils font
circuler de l'air puis récupèrent les composés volatils odorants dans
des filtres. Ces derniers sont ensuite exportés en France pour être
analysés (les composés volatils ont été analysés par des techniques de
chromatographie en phase gazeuse et de spectrométrie de masse) sur la plateforme d'écologie chimique du CEFE (plateforme d'écologie chimique, dirigée par Bruno Buatois, du Centre
d'écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier -CNRS/Universités
Montpellier 1, 2 et 3/ENSA Montpellier/CIRAD/Ecole pratique des hautes
études Paris-) à
Montpellier et identifiés par le chimiste Jean-Marie Bessière.
L'ensemble des résultats montre que les pièges foliaires aériens de Nepenthes
rafflesiana produisent une diversité de composés volatils, des
dérivés d'acides gras, et surtout des composés benzéniques et des
terpènes communément émis par les fleurs à pollinisation généraliste
(pollinisées par différents types d'insectes) ainsi qu'une grande quantité de quelques composés rares aux odeurs
douces et sucrées. Les urnes terrestres, produites par la plante dans sa phase juvénile, émettent beaucoup moins de
composés aromatiques et attirent essentiellement des fourmis. Les urnes
aériennes, produites lorsque la plante devient adulte et grimpante,
émettent en abondance ces bouquets d'odeurs et lui permettent d'élargir
son spectre de proies à un panel d'insectes volants,
typiquement des visiteurs de fleurs.
Ces pièges parfumés pourraient inspirer les programmes de lutte contre
les insectes ravageurs de cultures ou contre les vecteurs de maladies
tels que les moustiques. Une des nombreuses questions qui préoccupent
maintenant les chercheurs est de savoir comment la plante opère pour ne
pas capturer ses propres pollinisateurs...