Croissance très singulière de la graine dans le noyau de la Terre
Par Benje le jeudi, juin 3 2010, 19:40 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: CNRS / INSU
La graine, partie solide du noyau de la Terre, présente une asymétrie de ses propriétés sismiques entre deux hémisphères Est et Ouest. Des chercheurs du Laboratoire "Dynamique Terrestre et Planétaire" (INSU-CNRS, OMP) à Toulouse et du CEREGE (INEE-INSU-CNRS) à Aix-Marseille proposent, dans une publication à Science, un modèle original. Le mode de croissance dissymétrique de la graine impliquerait une translation d'Ouest en Est entraînée par une cristallisation du fer sur l'hémisphère Ouest et sa fusion sur l'hémisphère Est. Ce mouvement de translation, entretenu par le refroidissement séculaire de la Terre, génère une distribution asymétrique de la taille des grains de fer qui grossissent au cours de leur transit. Ce modèle s'appuie sur de nouvelles données sismologiques et sur le calcul de la vitesse et de l'atténuation des ondes sismiques se propageant dans des agrégats de fer.
La graine est la structure la plus profonde de la Terre. Cette sphère de
1220 km de rayon est constituée d'un alliage solide de fer et de
nickel, qui au cours du refroidissement de la Terre cristallise et
grossit au dépend du noyau liquide qui l'entoure. Inaccessible, la
graine reste énigmatique à bien des points de vue. Une de ses propriétés
les plus étranges est l'asymétrie qu'elle présente entre ses faces
Ouest et Est. En effet, les ondes sismiques qui traversent les 100
premiers kilomètres sont plus lentes et moins
atténuées en parcourant l'hémisphère Ouest centré sur l'Amérique qu'en
parcourant l'hémisphère Est centré sur l'Indonésie.
L'étude présentée ici, montre à partir de nouveaux enregistrements
sismologiques que cette anomalie hémisphérique s'organise autour d'un
axe de symétrie traversant la Terre dans le plan équatorial. La vitesse
et l'atténuation des ondes sismiques sont minimales sous une région
localisée à l'aplomb de Quito en Équateur, elles augmentent
progressivement pour atteindre des valeurs maximales aux antipodes, sous
Padang en Indonésie. Quelle peut être la cause physique de ces
variations ?
Dans la graine, les ondes sismiques sont atténuées par des obstacles qui
renvoient une partie de leur énergie en dehors de la direction moyenne de propagation. Ces obstacles
sont les grains de fer eux mêmes ! En effet, dans la graine
superficielle, les grains de fer très anisotropes sont orientés dans
toutes les directions. Lorsque que l'onde sismique passe d'un grain à un autre, elle est affectée
par d'importantes variations de propriétés élastiques et l'énergie
sismique est alors fortement diffusée. On parle de diffusion multiple. Ainsi l'anisotropie ouest-est de la
graine, peut-elle être interprétée en terme de propriété des grains de
fer, et en particulier de leur taille.
À partir d'un modèle de diffusion multiple, l'équipe a
pu calculer la taille de ces grains de fer: environ 500 m dans
l'hémisphère Ouest et 5 à 10 km dans l'hémisphère Est. Cette taille de
grains peut sembler élevée, mais elle reste compatible avec les modèles
classiques de croissance cristalline décrits en métallurgie. La
croissance des grains étant directement reliée au temps écoulé pour les former, les observations sismiques suggèrent donc que les grains sont
plus jeunes à l'Ouest qu'à l'Est.
Pour expliquer cette particularité, les auteurs proposent un modèle où
les grains qui constituent la graine migrent en permanence d'Ouest en
Est. Cristallisés à l'Ouest à partir du noyau liquide, ils traversent la
graine vieillissant et grossissant à la fois, jusqu'à atteindre le bord
opposé et fondre en franchissant la limite avec le noyau liquide.
Le moteur de ce processus est le refroidissement du noyau, lié au
refroidissement de la Terre elle-même. On estime que le noyau liquide,
brassé par des courants de convection très
vigoureux, se maintient dans des conditions telles que toute baisse de
sa température en surface (c'est-à-dire au contact du manteau) se
répercute à sa base, à la surface de la graine où des grains de fer
peuvent cristalliser. Dans la partie solide, l'évacuation de chaleur par
la seule conduction est moins efficace et peut laisser l'intérieur de
la graine suffisamment chaud pour que celle-ci soit gravitationnellement
instable. Les conditions de cette instabilité sont favorisées par un
taux de refroidissement séculaire important, correspondant à une graine
relativement jeune, âgée de seulement 1 à 2 milliards d'années. Si la
graine se trouve dans cet état, la moindre dissymétrie de
cristallisation à sa surface engendrera un déplacement de son centre de masse vers le coté le plus dense,
c'est-à-dire celui qui cristallise davantage. En fait, comme la
position d'équilibre du centre de masse de la graine coïncide avec celui
de la Terre, c'est toute la graine qui se translate, plaçant la face du
côté dense et celle qui lui est opposée dans des conditions
thermodynamiques telles que la première cristallise et la seconde fond. Ainsi, la
dissymétrie de cristallisation et le mouvement se trouvent amplifiés.
Il s'agit là d'un mode de convection très particulier, car il se produit
sans déformation. Selon ce modèle, le déplacement est une simple
translation . La graine grossit sur une face et fond de l'autre et c'est
le processus de cristallisation-fusion qui contrôle la vitesse de la
translation. Les auteurs ont pu évaluer qu'il était au moins trois fois
supérieur au taux moyen de cristallisation de la graine, soit supérieur à
1,5 mm/an.
La principale conséquence de ce processus est que le fer dans la graine
est perpétuellement renouvelé. Non seulement son âge n'est pas partout
le même (il est plus jeune à l'Ouest), mais il est souvent plus jeune
que la graine elle-même.