Découverte de "cellules caméléon": une piste pour une meilleure cicatrisation ?
Par Benje le vendredi, juin 11 2010, 18:41 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: CNRS
Des cellules qui, de manière surprenante, changent d'identité pendant l'embryogénèse viennent d'être mises en évidence chez la drosophile par des chercheurs du CNRS et de l'Université de Nice (appartenant notamment à l'Institut de biologie du développement et cancer -IBDC, CNRS/Université de Nice). En étudiant ces "cellules caméléon" dans un modèle de cicatrisation, les scientifiques ont démontré qu'elles favorisent le relâchement de la tension tissulaire, permettant à l'épiderme de se souder parfaitement. Publiés le 8 juin dans PloS Biology, ces travaux révèlent comment les tissus s'adaptent lors de leur soudure pendant le développement embryonnaire. Ils pourraient ouvrir une nouvelle voie de recherche en médecine régénérative.
Les cellules qui composent les organismes
multicellulaires ne sont pas identiques. Il en existe différents types:
cellules de la peau, du foie, neurones... Issues de cellules
"précurseurs" non spécialisées, ces cellules se spécialisent grâce au
mécanisme de différenciation. De plus, pendant le développement
embryonnaire, les cellules sont organisées en compartiments étanches qui
s'avèrent essentiels à l'assemblage correct des organes (ces compartiments sont appelés segments chez les insectes ou
rhombomères dans le cerveau antérieur des vertébrés). Au
sein de ces compartiments, les cellules obéissent à deux règles: une
fois différenciées, elles conservent cette identité qui leur est propre,
et, les cellules d'un compartiment donné restent ensemble, ne se mélangeant jamais
avec celles d'un autre compartiment.
Les chercheurs ont mené leur étude sur des embryons de drosophile (un organisme très souvent utilisé comme système modèle)
pendant la "fermeture dorsale". Au cours de cette étape clé de la
morphogénèse (la morphogénèse est une étape de l'embryogénèse pendant laquelle se
développent les formes et organes d'un organisme) chez la drosophile, deux épidermes se
rencontrent et se referment. Ce phénomène de soudure tissulaire est
semblable à la soudure d'une plaie après coupure, et représente donc un
bon modèle de cicatrisation. En observant les embryons vivants au cours
de la fermeture dorsale, les scientifiques ont remarqué un type de
cellules qui brise les deux lois évoquées ci-dessus. En effet, ces
"cellules caméléon" (ou Mixer-cell en anglais) sont capables de changer d'identité puis
de compartiment, et ce dans des conditions normales de développement de
l'embryon (sans blessure par exemple). Le changement d'identité ou
plasticité cellulaire était déjà connu dans des cas pathologiques
(régénération suite à une blessure ou une pathologie, etc), où le plus
souvent, la re-différenciation de la cellule requiert une ou plusieurs
divisions cellulaires. Ici, la plasticité cellulaire se produit sans
passer par cette étape. Les chercheurs ont démontré qu'elle était
contrôlée par des gènes spécifiques qui interviennent également dans la
régénération tissulaire de la drosophile adulte: il s'agit de la voie de
signalisation JNK, qui existe aussi chez les vertébrés. Ce mécanisme de
plasticité cellulaire génétiquement contrôlé est un comportement
cellulaire unique, qui n'avait encore jamais été observé dans le
développement embryonnaire.
Une fois différenciées, les cellules caméléon changent de compartiment
cellulaire alors que les frontières de celui-ci étaient réputées
infranchissables. Et, plus le nombre de cellules ayant migré dans le
compartiment de destination est important, plus la tension au sein des
tissus diminue. Les scientifiques ont découvert que le mécanisme de
plasticité cellulaire des cellules caméléon induisait, via un processus
encore inconnu, des mouvements d'intercalation de cellules annexes, ce
qui confère aux tissus la capacité à s'adapter aux variations de tension
qui ont lieu au cours de la morphogénèse de l'embryon. Pour cela, une
zone appelée "compartiment de relaxation" est créée: elle permet aux
tissus (ici, l'épiderme) de relâcher leur tension pendant la soudure
tissulaire. Dès lors, la soudure entre les tissus pendant la fermeture
dorsale de l'embryon de la drosophile (phénomène semblable à la
cicatrisation de l'épiderme) peut avoir lieu de façon parfaite,
c'est-à-dire sans cicatrice visible.
Ces travaux mettent en évidence un nouveau mécanisme de plasticité
cellulaire pendant la morphogénèse. Compte tenu des similitudes
observées entre le phénomène de soudure tissulaire ici étudié et la
cicatrisation, ces résultats pourraient apporter une nouvelle voie
d'étude des mécanismes cellulaires en jeu lors de la cicatrisation.