To bio or not to bio?
Hugues Toussaint, auteur de
"Manger bio, c'est bien si..." (éd. Vuibert), ex-secrétaire général du réseau de distribution coopératif Biocoop, fondateur de l'association de défense des consommateurs Bio Consom'acteurs et actuel administrateur de la société Enercoop (qui distribue de l'électricité d'origine renouvelable), a répondu à vos questions :

biomangercestbien: quel est le temps de reconversion des terres dites bio?

Hugues Toussaint: La période de reconversion est variable selon le type de cultures. Pour faire simple, cette période est de deux ans pour les cultures annuelles et de trois pour les cultures pérennes telle l'arboriculture. Mais une terre qui n'a pas été cultivée ni pâturée depuis longtemps peut passer en bio dès la première année. A l'inverse, l'organisme certificateur peut décider de prolonger la période de conversion d'une terre très polluée.

faby: selon vous les produits bio des supermarchés sont-ils de qualités satisfaisantes en général ou la mention bio de ces produits n'est elle devenue qu'un simple argument marketing?

Hugues Toussaint: Non tous les produits bio labellisés bio sont soumis aux mêmes contrôles. Les critiques que l'on peut formuler à l'encontre des hypermarchés résident plutôt dans l'origine lointaine des produits, la pression qui peut s'exercer sur les producteurs ou les fabricants et leur politique sociale. Mais c'est aussi un argument marketing quand on sait que le pourcentage de produits bio dans les hypers est au maximum de l'ordre de 2% de leur chiffre d'affaires de produits alimentaires, c'est à dire une goutte de bio dans un océan de produits conventionnels.

Stephie: Le bio a t il un impact sur nos allergies (alimentaires et autres)? J'ai remarqué que depuis que je mange bio, mes allergies ont diminuées.

Hugues Toussaint: Effectivement nombreux sont les consommateurs qui sont "venus" à la bio pour des raisons de santé et en particulier d'allergies, encouragés par leur thérapeute. La bio exclue l'utilisation des pesticides dont l'impact négatif sur la santé est reconnu (voir le documentaire sur France 3 ce lundi soir à 20h35). Mais au delà de cet aspect les mangeurs bio ont tendance à modifier leur alimentation, au profit de plus de produits végétaux, de céréales et de légumineuses et en minimisant leur consommation de viande.

yoann: Serait-il possible de nourrir l'intégralité de la France en Bio local, si nous diminuions considérablement notre consommation de viande?

Hugues Toussaint: La priorité semble dans un premier temps de produire suffisamment pour satisfaire la demande française bio actuelle, ce qui est loin d'être le cas. Or l'importation de produits bio a le triple inconvénient de renchérir les coûts d'approvisionnement, de ne pas créer d'emploi en France et d'avoir un impact négatif sur l'environnement.

La diminution de consommation de viande a effectivement un impact positif en matière de santé et sur un plan environnemental (et particulièrement celle de bœuf pour cause de production de méthane) mais aussi, vous avez raison, du fait des surfaces nécessaires pour son alimentation alors que l'équivalent en protéines d'origine végétales exige des superficies nettement moins importantes.

sakuranne: Quelle est l'image du bio auprès des agriculteurs? Ont-ils évolué dans leur mode de production (traitements moins nocifs notamment)? Quel est leur pourcentage de producteurs bio en France?

Hugues Toussaint: Les producteurs bio sont environ 16 000 en France et les surfaces cultivées en bio représentent environ 2,5% de la SAU, surface agricole utile (chiffres précis et détaillés sur www.agencebio.org). La bio a une bonne image auprès des consommateurs et une image qui s'améliore chez les producteurs, le nombre de "conversions" bio (c'est ainsi qu'on appelle le passage d'une ferme conventionnelle en bio) le prouve, puisqu'il y en a environ 300 nouvelles chaque mois depuis plus d'un an. L'utilisation de pesticides reste très élevée en France (la France en est le premier consommateur européen) mais de plus en plus d'agriculteurs, car des études de plus en plus nombreuses prouvent la dangerosité de leur utilisation par les paysans et de leur consommation par tous, en prennent conscience. Mais il n'est pas facile de faire le pas, entre autres pour des raisons techniques.

dan: Bien sûr que le Bio est salutaire à la santé, mais très nocif au porte-monnaie. Il n'est pas rare de trouver des produits bio 3 fois plus chers que des produits non bio. La démocratisation du bio passe forcément par une baisse substantielle de ses produits. Aujourd'hui c'est un produit de luxe. Pourquoi n'encourage-t-on pas financièrement les producteurs bio au lieu de distribuer des primes et subventions aux "gros" agriculteurs accro à la culture intensive dont personne ne veut plus aujourd'hui, mais que tout le monde doit subir faute de pouvoir d'achat.

Hugues Toussaint: Cette question est essentielle et mérite plusieurs réponses.

Globalement, il est démontré que cultiver bio revient moins cher que de cultiver en conventionnel compte tenu des aides financières que reçoivent une minorité de grands exploitants agricoles très polluants (20% perçoivent environ 80% des subventions de la PAC) et surtout compte tenu des coûts externes liés à ces pratiques, coûts de dépollution et de santé.

Mais pour notre porte-monnaie de consommateurs, il n'en reste pas moins vrai que l'AB revient plus cher. Sauf à privilégier les circuits courts de distribution, comme les marchés, la vente à la ferme, les Amap (associations pour le maintien de l'agriculture paysanne qui met en relation paysans et consommateurs) et surtout à consommer différemment, en privilégiant les fruits et légumes de saison et locaux et en diminuant sa consommation de viande; Un autre problème lié à votre question est celui de la place que nous accordons à notre alimentation dans notre budget et à celle de la survie des paysans (je ne parle pas des "exploitants" agricoles) qui sont aussi essentiels à notre survie que les abeilles et qui sont, tous les deux, menacés d'extinction.

Guillaume du Plessis: les légumes et fruits cultivés dans notre jardin revêtent-ils un caractère bio?

Hugues Toussaint: Les fruits et légumes de votre jardin ne pourraient être identifiés comme produits bio si vous décidiez de les commercialiser. Mais comme ils sont destinés à votre propre consommation, l'important c'est que vous respectiez les principes de l'AB.

la lavande: Quels moyens a la Puissance Publique pour contrôler que les labels Bio et Ecocert sont utilisés par des fournisseurs de Bio uniquement et non pas par des petits malins, producteurs d'agriculture conventionnelle?

Hugues Toussaint: Ecocert est un des 5 organismes français qui garantissent la bonne utilisation des pratiques agricoles respectueuses de la réglementation européenne bio. Les produits certifiés par Ecocert sont identifiés par le label AB et, à partir du 1er juillet prochain, par le nouveau label européen. Seuls les producteurs et fabricants contrôlés et certifiés par un des organismes français agréés peuvent utiliser le logo AB sur leurs produits. Aucun agriculteur non bio ne peut utiliser la marque AB et faire référence à un organisme certificateur si ses pratiques ne sont pas bio. Et les distributeurs ont l'obligation de veiller à ce que leurs fournisseurs aient les certificats pour les produits qu'ils leurs achètent.

la lavande: Je vous remercie pour votre réponse concernant les labels AB et ECOCERT . Ceci dit, je pensais aux moyens concrets de contrôle . Par exemple, sur un marché ouvert au public, un paysan ou un distributeur affiche un panneau AB . Qui est en droit de contrôler la véracité de ce panneau?

Hugues Toussaint: Les distributeurs sont également soumis aux contrôles des organismes agréés. Effectivement les fraudes sont toujours possibles mais elles sont très rares et, point positif des contrôles bio très exigeants, quasiment toujours décelées. Si vous avez des doutes forts sur un produit, un producteur ou un distributeur, vous pouvez toujours interpeller les organismes certificateurs pour qu'ils effectuent des contrôles supplémentaires.

Marc: Quand est-ce que des études indépendantes et reconnues seront faites en France sur les méfaits des pesticides, des fongicides, des insecticides sur l'Homme afin de changer notre législation dépendante des lobbys?

Hugues Toussaint: Les méfaits des pesticides sont aujourd'hui reconnus en France comme partout ailleurs. Mais reconnaître la dangerosité de produits ne suffit pas à ce qu'ils ne soient plus utilisés. Souvenons nous de l'amiante qui fut interdite en France alors que les risques de cancer liées à son utilisation étaient connus depuis près de 100 ans. C'est moins l'indépendance des chercheurs (en tout cas de certains d'entre eux) qui est problématique que la puissance des lobbies chimiques et en particulier de l'Union des industries des produits phytosanitaires (UIPP).