Source: CNRS

Le proton, l'un des constituants fondamentaux de la matière, serait plus petit que ce que l'on pensait jusqu'à présent. Tel est le résultat établi de manière expérimentale par une collaboration internationale de physiciens, à laquelle participe le Laboratoire Kastler Brossel (ENS Paris / UPMC / CNRS). Obtenue avec une extrême précision, cette nouvelle mesure du rayon du proton pourrait remettre en cause certaines prédictions de l'électrodynamique quantique,  l'une des théories fondamentales de la physique quantique, ou bien la valeur de la constante de Rydberg (constante physique la plus précise à ce jour). Publiés le 8 juillet dans Nature, ces travaux font la couverture de la revue.

Les noyaux des atomes sont constitués de protons et de neutrons. Autour de ces noyaux, gravitent les électrons. Ces trois éléments (protons, neutrons et électrons) constituent pratiquement toute la matière terrestre. Alors que l'électron est considéré comme une particule "sans taille", le proton, qui est constitué de quarks, est un objet étendu. Jusqu'à présent, seules deux méthodes avaient permis de mesurer son rayon. Basées sur l'étude des interactions entre un proton et un électron, elles s'intéressent soit aux collisions entre un électron et un proton, soit à l 'atome d'hydrogène (atome constitué d'un électron et d'un proton). La valeur ainsi obtenue, celle utilisée par les physiciens, est de 0,877 femtomètre, à +/- 0,007 (1 femtomètre -fm- = 10^-15 mètre – C'est l'unité fréquemment utilisée pour mesurer le diamètre d'un noyau atomique, qui peut aller jusqu'à 6 fm)

Pour déterminer plus précisément le rayon des protons, les physiciens ont utilisé de «l'hydrogène muonique» au sein duquel l'électron est remplacé par un muon, une particule élémentaire chargée négativement. "Cette idée remonte aux années 70", précise François Nez, chercheur CNRS au Laboratoire Kastler Brossel (LKB). "Toutefois, il fallait que les techniques évoluent pour qu'elle soit réalisable". L'atome d'hydrogène, qui est le plus simple existant, a souvent été le meilleur objet pour étudier des questions fondamentales en physique. Mais, pourquoi remplacer l'électron par un muon ? Chargé négativement (comme les électrons), ce dernier est 200 fois plus lourd que l'électron. Il doit donc, selon les lois de la physique quantique, évoluer 200 fois plus près du proton que ne le fait l'électron dans l'hydrogène «normal». Le muon est "beaucoup plus sensible" à la taille du proton qu'un électron. Ainsi, son énergie de liaison à l'atome dépend fortement de la taille du proton. La mesure de cette énergie permet aux scientifiques de déterminer le rayon du proton d'une manière nettement plus précise (0,1 % de précision) qu'à partir des mesures utilisant des électrons (environ 1 % de précision).

Pour cela, un laser infra-rouge a été spécialement conçu. Les six chercheurs du LKB, appartenant au CNRS et à l'UPMC, ont tout particulièrement apporté leur expertise dans sa fabrication, essentiellement pour la partie "titane-saphir" de la chaîne laser. L'objectif a été de concevoir un laser dont la longueur d'onde d'émission (c'est-à-dire la couleur de la lumière laser) peut être réglée à volonté. Comme un muon se désintègre en 2 millionièmes de secondes, il faut pendant ce laps de temps très court pouvoir réaliser la mesure sur l'hydrogène muonique. Le tir laser doit donc pouvoir être déclenché très rapidement (dans un temps d'environ 1 millionième de seconde). Une première campagne de mesures fin 2002 a permis de valider ce dispositif expérimental mis au point par le LKB qui a également été chargé de mesurer la longueur d'onde d'émission du système laser complet. Il s'agit de cibler, les unes après les autres, les différentes longueurs d'onde absorbées par l'hydrogène muonique, ce qui permet d'en déduire l'énergie du muon autour du proton et donc la taille du proton.

Une divergence inattendue

Après plusieurs séries de mesures menées à l'accélérateur de l'Institut Paul Scherrer PSI en Suisse, où le faisceau de muons est particulièrement intense (ce qui permet à un nombre suffisant d'atomes muoniques de se former), les chercheurs ont obtenu une valeur inattendue pour le rayon du proton. En effet, ce résultat diffère de celui obtenu en utilisant des électrons. Il est de 0,8418 femtomètre (à +/- 0,0007), au lieu de 0,877 femtomètre pour les mesures utilisant des électrons. "Nous n'avions pas envisagé qu'il puisse y avoir des divergences entre les valeurs connues et nos mesures", précise Paul Indelicato, directeur du LKB. Cette différence est beaucoup trop importante pour qu'on puisse l'imputer à des imprécisions dans les mesures. Les scientifiques sont en train d'essayer d'expliquer cet écart. Il pourrait remettre en cause la théorie la plus précisément testée de la physique à savoir la théorie de l'électronynamique quantique qui est l'une des clés de voûte de la physique actuelle. Autre possibilité, la valeur actuelle de la constante de Rydberg, aujourd'hui la constante physique déterminée avec le plus de précision, pourrait être révisée. Les chercheurs envisagent de reproduire prochainement cette expérience avec de l'hélium muonique (à la place de l'hydrogène). Un nouvel éclairage sur ces résultats pourrait en découler.

Une collaboration internationale

Ce projet est le fruit d'une coopération entre 32 scientifiques émanant de différentes institutions de plusieurs pays. Parmi les contributions les plus importantes, figurent:
- le Laboratoire Kastler Brossel (ENS Paris/ UPMC/CNRS) en France,
- l'Institut Max-Planck d'optique quantique en Allemagne,
- l'Institut Paul Scherrer PSI, l'Institut de physique des particules de l'École polytechnique fédérale de Zurich et le département de physique de l'université de Fribourg en Suisse,
- le département de physique de l'université de Coimbra et de l'université de Aveiro au Portugal,
- l'Institut d'outils de rayonnement de l'université de Stuttgart et Dausinger & Giesen GmbH en Allemagne.

Références:
The size of the proton, Randolf Pohl, Aldo Antognini, François Nez, Fernando D. Amaro, François Biraben, João M. R. Cardoso, Daniel S. Covita, Andreas Dax, Satish Dhawan, Luis M. P. Fernandes, Adolf Giesen, Thomas Graf, Theodor W. Hänsch, Paul Indelicato, Lucile Julien, Cheng-Yang Kao, Paul Knowles, José A. M. Lopes, Eric-Olivier Le Bigot, Yi-Wei Liu, Livia Ludhova, Cristina M. B. Monteiro, Françoise Mulhauser, Tobias Nebel, Paul Rabinowitz, Joaquim M. F. dos Santos, Lukas A. Schaller, Karsten Schuhmann, Catherine Schwob, David Taqqu, João F. C. A. Veloso & Franz Kottmann, Nature, 8 juillet 2010.