Catherine Vincent

Qui ne connaît le staphylocoque doré ? Ce germe bactérien, fréquemment impliqué dans les infections contractées à l'hôpital, les intoxications alimentaires et certaines lésions cutanées, figure parmi les plus redoutés du corps médical.

Ce que l'on sait moins, en revanche, c'est que la dangerosité de Staphylococcus aureus est due pour partie à ses 'ARN régulateurs'. Une découverte qui permettra peut-être de mieux combattre ce redoutable microbe, et qui confirme avec éclat l'importance que prennent dans le champ de la biologie moléculaire ces petites séquences génétiques, quasiment inconnues il y a seulement dix ans.

Les ARN, ou acides ribonucléiques, sont des molécules présentes dans tous les êtres vivants. Très proches chimiquement de l'ADN (acide désoxyribonucléique, support de l'hérédité), ils interviennent dans diverses réactions biologiques. Les cellules les utilisent notamment pour fabriquer les milliers de protéines dont elles ont besoin pour fonctionner.

Plusieurs familles d'ARN interviennent dans cette fabrication : des ARN 'messagers', qui font office d'intermédiaires entre les gènes et les protéines pour lesquels ils codent ; mais aussi des ARN 'ribosomiques' et des ARN 'de transfert'. Ce sont ces différentes molécules qui ont été le plus étudiées.

'La biologie moléculaire a longtemps été dominée par le dogme 'un gène, une protéine'. On s'intéressait avant tout à ce qui, dans le génome, correspondait à la fabrication des protéines', commente Frédérique Théry, doctorante en histoire et philosophie de la biologie. De petite taille, correspondant le plus souvent à des régions non codantes du génome, les ARN régulateurs restèrent donc longtemps ignorés des chercheurs. Jusqu'à ce que, progressivement, 'l'omniprésence de ce dogme soit considérée comme un obstacle pour la progression des recherches'.

Au tournant de ce siècle, on commença ainsi à soupçonner que ces petits ARN avaient un rôle à jouer dans ce qui reste l'une des "boîtes noires" de la biologie moléculaire : la régulation de l'expression génétique. Autrement dit : la manière dont les gènes sont, ou ne sont pas, activés au cours de la vie cellulaire. Une machinerie extraordinairement bien rodée qui préside à chaque instant au bon fonctionnement de l'organisme, mais aussi, lors de l'embryogenèse, à son élaboration à partir de la cellule originelle.

Comment agissent-ils ? Pour l'essentiel, les éclaircissements dans ce domaine restent à venir. Mais le recensement des ARN régulateurs, lui, est en pleine explosion. Chez la souris comme chez l'homme, on en a déjà répertorié plusieurs milliers, dont la fonction, pour certains, commence à être élucidée.

Chez les bactéries, ils semblent intervenir sur les capacités d'adaptation à l'environnement. Ainsi pour le staphylocoque doré, dont la virulence, comme vient de le démontrer dans la revue PLoS Pathogens (juin 2010) une équipe de biochimistes français, serait fortement liée à certains de ces ARN. "Un tiers de la population, à un moment de sa vie, héberge un staphylocoque doré dans ses fosses nasales, et elle ne développe pas une infection pour autant. Pour que l'infection soit réussie, il faut d'abord une voie d'entrée dans l'organisme. Il faut ensuite que l'agent microbien exprime en quantité suffisante ses gènes de virulence, dont ceux qui vont lui permettre d'échapper au système immunitaire de son hôte, d'adhérer à la membrane des cellules qu'il va infecter, puis de les pénétrer et les envahir", explique Brice Felden, principal signataire de ces travaux à l'université de Rennes-I.

En 2005, son équipe avait été la première à identifier, chez Staphylococcus aureus, l'existence d'une quinzaine d'ARN régulateurs. Aujourd'hui, on sait que son génome en contient au moins une centaine, dont quelques-uns commencent à livrer leurs secrets. Notamment l'ARN nommé SprD, objet de cette récente publication.

"Sans que l'on comprenne encore très bien comment, cet ARN est capable de reprogrammer l'expression d'une molécule qui permet au staphylocoque de déjouer certaines défenses immunitaires de l'organisme qu'il infecte", précise M. Felden. La preuve en est fournie par l'expérience suivante : il suffit d'inactiver l'expression de cet ARN chez des souris pour que celles-ci, après injection de staphylocoques dorés, continuent de se porter comme des charmes. Et, inversement, de le réactiver pour qu'elles tombent malades.

Les applications de cette découverte ? Elles sont de deux ordres. Comme l'ont montré les expériences menées sur la souris, l'inactivation de l'ARN SprD - dont la "fiche d'identité" a fait l'objet d'un brevet - ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques contre les infections à staphylocoque doré.

Dans un avenir plus proche, cette petite molécule pourrait par ailleurs constituer un marqueur précoce d'infections à staphylocoque, et permettre ainsi aux cliniciens de prescrire plus rapidement un traitement antibiotique adapté.