Hervé Kempf

Le service de l'urbanisme de Clermont-l'Hérault, installé près de la mairie de cette bourgade de 8 000 habitants située à quarante kilomètres de Montpellier, n'a jamais vu défiler autant de monde : depuis que l'enquête publique sur la modification du plan local d'urbanisme a été ouverte, début juillet, les habitants se bousculent pour consulter le dossier et inscrire leurs remarques.

C'est que le projet de création d'une nouvelle zone d'aménagement concerté (ZAC) de 70 hectares, où serait notamment implantée une plate-forme logistique du groupe de distribution Système U, suscite des débats passionnés. Le photomontage joint au dossier illustre l'inquiétude des opposants, nombreux à s'exprimer sur les quatre registres : à la place des vignes, apparaît un bâtiment de 500 m de long, 100 de large et 14 de haut. Tout aussi nombreux semblent les partisans du projet, qui ont souvent signé et déposé un tract titré : 'Vous êtes pour... dites-le.'

C'est que Système U emploierait sur place 130 personnes et que les autres entreprises promises sur la ZAC représenteraient un potentiel de plus de 400 autres emplois. 'Le problème est simple, dit André Cazorla, maire de Clermont-l'Hérault et porteur du projet. Le taux de chômage est proche de 14 % dans le canton. Il faut saisir cette opportunité de créer des emplois.' M. Cazorla est appuyé par la très grande majorité des élus de la communauté de communes.

Mais, depuis un an, le Collectif de la Salamane récuse cette logique. Pour Laurent Dupont, élu écologiste de la commune voisine de Paulhan, 'c'est la porte ouverte à l'urbanisation de la plaine de l'Hérault'. 'On pourrait développer un projet de territoire vraiment agricole, avec la proximité de Montpellier, très demandeur de produits de qualité, la loi Grenelle, qui requiert 20 % des repas en agriculture biologique dans les cantines, et de nombreux exemples de maraîchers qui réussissent', suggère-t-il.

Le collectif est accusé d'être constitué d'"écolos bobos" par un tract anonyme de soutien à la ZAC. Mais il a réussi à créer un débat, qui renvoie, en fait, à la crise aiguë de la viticulture locale. "Dans les années 1980, notre cave collectait dans les 80 000 hectolitres. Aujourd'hui, on arrive à peine à 30 000, témoigne Michel Meyrieu, président de la cave coopérative viticole de Clermont-l'Hérault. Avant, quand les anciens s'arrêtaient, ils vendaient leur vigne à des plus jeunes. Maintenant, rien ne se vend. La plaine se vide. Ca fait mal au coeur de devoir arracher des vignes pour les remplacer par des maisons, du goudron, du béton..."

"Avec du béton, on fera quoi ?"

M. Meyrieu dit pourtant comprendre que des viticulteurs de la Salamane puissent vendre leur terrain : à 10 euros le m2, c'est une opportunité, quand la terre agricole se vend ici - quand elle se vend - 1,5 euro le m2. Richard Miro, 60 ans, est l'un d'eux. "Je travaille depuis quarante et un ans à la vigne, raconte-t-il. On n'est jamais parti en vacances, la voiture a 12 ans. Depuis six ans, on a perdu 40 % de notre revenu. Quand on a tout payé, on est au smic." Il percevra 670 euros de mensualité de retraite. Il ne cache pas espérer vendre les cinq hectares qu'il possède.

Mais d'autres refusent. C'est le cas d'Eve Thomé, qui vend des fruits sur la route qui longe la Salamane. A 26 ans, elle travaille avec son père et a acheté 5 000 m2 sur la zone, il y a deux ans. "Je voulais planter des pêchers, des abricotiers : c'est une bonne terre. On fait des projets, et vlan, ils cassent tout..." "Montpellier est asphyxié et commence à envahir la plaine, analyse Alain Ravayrol, ornithologue et opposant au projet. Le choix de la Salamane, c'est d'accepter cette fuite en avant." A Clermont-l'Hérault se joue le drame éternel de l'écologie : la destruction de la nature au nom de l'emploi. "Avec de la terre, on mangera toujours, dit Eve Thomé. Mais avec du béton, on fera quoi ?"

Les administrations sont elles-mêmes divisées : la direction départementale des territoires et de la mer, le service départemental d'architecture et du patrimoine ainsi que la chambre d'agriculture ont émis un avis défavorable. Cinq autres services de l'Etat ont donné un avis favorable.