Hervé Morin

Les 10 000 milliards de bactéries qui peuplent nos intestins sont de plus en plus considérés par les biologistes comme un organe en soi. Quand cette machinerie complexe - on l'appelle microbiote - se met à dysfonctionner, n'y a-t-il pas moyen de la remettre sur les rails grâce à des transplantations ? Une série de résultats cliniques récents montre que l'idée est loin d'être absurde.

Prenons le cas de Clostridium difficile. Parmi le millier d'espèces de bactéries intestinales présentes dans chacun d'entre nous, elle peut se révéler redoutable : elle profite des traitements antibiotiques pour prendre le pas sur ses congénères. Ce déséquilibre induit des diarrhées et des colites parfois difficiles à stopper. A moins que l'on ne reconstitue la flore en l'important d'un autre individu.

La littérature scientifique récente montre l'efficacité de cette 'bactériothérapie' : qu'il soit introduit par l'une ou l'autre extrémité du système digestif, le microbiote fécal étranger rétablit rapidement le fonctionnement digestif normal, chez son hôte, dans au moins 90 % des cas.

Que se passe-t-il exactement ? L'analyse des génomes (métagénomique) des composants de la flore intestinale permet d'y voir plus clair. Dans le Journal of Clinical Gastroenterology (JCGE) de mai-juin, une équipe de l'université du Minnesota (Minneapolis) décrit 'l'impact dramatique' qu'a eu la transplantation sur la composition du microbiote intestinal d'un patient souffrant d'une maladie induite par C. difficile. Alors que l'analyse de l'ADN bactérien avait révélé un déficit de firmicutes et de bactéroïdes, quatorze jours après la transplantation, la composition bactérienne fécale du receveur était devenue quasiment similaire à celle du donneur - parent du receveur. Les symptômes avaient disparu. Dans son numéro de septembre, le JCGE ajoute de nouvelles pièces en faveur de la biothérapie fécale en publiant des études qui prouvent que la colonisation est efficace et durable, vingt-quatre jours après l'"infusion" dans le receveur.

Anxiété chez les patients

De son côté, Chaysavanh Manichanh (Hôpital universitaire Vall d'Hebron, Barcelone) a effectué, avec des chercheurs espagnols et américains, des analyses ADN de la flore intestinale de rats après une biothérapie, précédée ou non de l'administration d'antibiotiques. L'analyse de l'ADN, publiée dans Genome Research du 24 août, montre qu'"il est possible d'introduire de nouvelles espèces dans la composition microbienne intestinale sans avoir besoin au préalable d'éliminer les bactéries endogènes par un traitement antibiotique", résume Mme Manichanh.

Ces études métagénomiques donnent une plus grande légitimité à des tentatives longtemps restées confidentielles et empiriques et "plaident pour l'utilisation de la biothérapie fécale", écrit le gastro-entérologue américain Martin Floch dans l'éditorial du JCGE de septembre. "Evidemment, du fait de sa nature même, cette thérapie induit quelque anxiété chez le patient, écrit M. Floch. Néanmoins, son succès a pour résultat un patient heureux."

Au-delà de C. difficile, d'autres affections intestinales pourraient bénéficier de la biothérapie. Dusko Ehrlich (Institut national de recherche agronomique), responsable du programme international de métagénomique MetaHit, qui vise à caractériser la flore intestinale, se projette même plus loin. "On peut imaginer de l'autotransplantation, à partir d'échantillons prélevés dans notre jeunesse, qui permettraient de rétablir l'équilibre de la flore en cas de maladie", dit-il.

Pour le chercheur, la face de la santé publique pourrait être changée par la métagénomique du microbiote, car un nombre croissant de travaux montrent que la composition de la flore intestinale et des maladies comme le diabète, l'obésité ou des maladies inflammatoires chroniques de l'intestin ont partie liée - même si on ignore encore souvent si les modifications de la flore sont une cause ou une conséquence de la pathologie.

Les choses sont plus simples pour le traitement de C. difficile. Mais, écrit Martin Floch, "un des obstacles principaux reste de définir comment cette thérapie sera socialement acceptée".