Éthologue, Guy Théraulaz est directeur de recherches au CNRS, à Toulouse.

«Je m'interroge sur les mécanismes qui gouvernent les comportements collectifs dans les sociétés animales et humaines. Comment, en l'absence d'un chef, d'un "superviseur", des individus parviennent-ils à coordonner leurs actions pour résoudre des problèmes ? J'ai commencé à travailler sur cette question en étudiant les insectes sociaux qui construisent collectivement des architectures très complexes, sans utiliser de plan : les décisions collectives sont le fruit d'interactions individuelles très simples et de processus d'auto-organisation. Quelles sont ces interactions ? C'est ce que je tente de découvrir, avec mon équipe, non seulement chez les termites, mais chez les hommes... Car ces phénomènes d'intelligence collective sont omniprésents dans les sociétés humaines.

«Un exemple, sur lequel nous travaillons : le déplacement des piétons dans une foule. Chacun croit choisir son chemin en utilisant des règles qui lui sont propres. Mais quand on analyse les mouvements de piétons sur une place ou dans les couloirs que nous avons construits en laboratoire, on s'aperçoit qu'une foule est un système où chacun obéit à des règles communes. Chaque piéton ajuste sa vitesse et la direction choisie en fonction de l'espace libre qui s'ouvre devant lui, et de la distance aux piétons qui le précédent. Mais il est surprenant de découvrir comment, ce faisant, il participe, sans en avoir conscience, à une construction collective, la plus classique étant la formation de files : les personnes marchant dans le même sens se rangent du même côté de la rue.

«Il est également étonnant de voir qu’on peut contrôler les déplacements des piétons en modulant l’éclairage d’un couloir - les humains préfèrent une intensité moyenne. Ou encore, que des piétons marchant en petits groupes se positionnent en V s’il y a trois personnes, en U s’il y en a quatre. Ils forment alors des blocs dont la géométrie impacte la vitesse du reste de la foule. Or les changements brutaux de vitesse sont une des sources de bousculades mortelles. Nous étudions aussi comment ces phénomènes de turbulence se produisent au sein d’une foule très dense. Ces connaissances devraient permettre, dans un contexte de démographie urbaine croissante, d’améliorer la conception et la sécurité des lieux d’affluence piétonnière