Pierre Barthélémy

Appelons-le Monsieur X. Agé de 66 ans, il se présente un jour dans un hôpital danois, pour soumettre aux médecins un petit problème intime. Depuis deux mois, à chaque fois que cet homme a un orgasme en faisant l’amour, il devient subitement aveugle de l’œil gauche, tout en continuant à y voir de l’autre côté. La cécité disparaît spontanément au bout de quelques minutes. Elle ne survient pas lorsque Monsieur X fait un exercice physique d’un autre genre, même intense.

Ce patient aux symptômes pour le moins singuliers fume un paquet de cigarettes par jour depuis un quart de siècle mais n’a aucun problème de santé, ne consomme pas de substances illicites, n’est pas alcoolique et ne prend aucun médicament. Il n’y a pas non plus d’antécédent de maladie cardio-vasculaire dans sa famille. Les examens ophtalmologiques, neurologiques et cardiaques préliminaires sont tous normaux. Euh, on sait bien que l’amour rend aveugle mais ce n’est pas vraiment une explication satisfaisante à ce phénomène étrange… Y a-t-il un docteur House dans la salle pour le diagnostic ?

En fait, après quelques analyses, les médecins danois vont se forger une petite idée de ce qui cause cette cécité passagère. Monsieur X a du cholestérol et, surtout, des problèmes au niveau de ses carotides internes. A droite, le sang ne passe plus et, à gauche, l’artère est bouchée à 50 %, une sténose mise en évidence par une échographie et confirmée par une angiographie par résonance magnétique. Heureusement pour lui, on peut très bien vivre avec une carotide bouchée, si les autres axes de circulation sanguine (qui alimentent le cerveau, le tympan et l’œil) compensent, ce qui est visiblement le cas de Monsieur X sur son côté droit. Côté gauche, en revanche, la roue de secours artérielle n’est sans doute pas aussi efficace, ce qui explique les incidents dont le patient est victime.

Comme l’ont écrit les médecins de monsieur X dans l’étude de cas qu’ils lui ont consacrée, publiée en 2009 dans le British Journal of Ophtalmology, “la réponse physiologique à l’activité sexuelle inclut une augmentation de l’activité du système nerveux sympathique, du rythme cardiaque et de la pression artérielle”. Si, au rétrécissement des vaisseaux sanguins advenant lors de l’orgasme, on ajoute une carotide gauche déjà à moitié bouchée et un système de “dérivation” moyennement efficace, on obtient l’arrêt de l’irrigation de l’œil et une perte momentanée de la vision. Celle-ci revient aussitôt que la vanne artérielle se rouvre, au moment du relâchement postcoïtal.

Monsieur X est donc reparti chez lui avec une ordonnance pour un vasodilatateur. Au bout de deux semaines, les symptômes ont disparu. A toute chose malheur est bon puisque ces accidents finalement sans conséquence l’ont alerté sur l’état calamiteux de ses carotides.