Une révolution en biologie structurale: l'imagerie de particules uniques par laser de rayons X
Par Benje le mardi, février 8 2011, 21:44 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: CNRS
Produire un faisceau laser de rayons X ultra puissant pour visualiser une seule particule virale en un seul flash de quelques femtosecondes (10-15 seconde): c'est la prouesse que vient de réaliser un consortium interdisciplinaire international de plus de 20 laboratoires (consortium dirigé par Janos Hajdu de l'Université d'Uppsala en Suède), dont le laboratoire CNRS Information génomique et structurale. Ces chercheurs ont en effet reconverti l'accélérateur de particules de Stanford (SLAC) en un gigantesque appareil de radiologie pour particules "uniques": cellules entières, virus, ou même macromolécules. Ces travaux publiés le 3 février 2011 dans la revue Nature annoncent une nouvelle ère pour la biologie structurale, en ouvrant l'utilisation des rayons X à l'étude de la structure tridimensionnelle d'objets biologiques asymétriques, non cristallisables, et même en mouvement. Les chercheurs travaillent désormais à améliorer la résolution des images pour parvenir à la visualisation détaillée de l'extérieur comme de l'intérieur de ces particules biologiques.
Les physiciens impliqués dans ces travaux étudient
depuis le milieu des années 1990 la possibilité d'utiliser les
accélérateurs de particules pour des études biologiques. Ils sont
parvenus à adapter l'Accélérateur linéaire de Stanford (SLAC) en lui
ajoutant toute une structure, composée d'aimants sur 800 mètres de long,
pour produire, à partir de l'accélération des électrons, l'émission
d'une quantité colossale de photons à la même fréquence dans les longueurs d'onde des rayons X durs. Ces photons constituent ainsi le faisceau laser de rayons X le plus puissant du monde. La puissance délivrée par cet instrument, le LCLS (Linac Coherent Light Sources),
est de 6,5 10^15 watts/cm2, soit une augmentation d'un facteur 10
milliards par rapport aux brillances disponibles jusqu'à présent ! Ce chiffre est difficilement concevable, quand on sait qu'un réacteur de centrale nucléaire délivre une puissance
de 1000 mégawatts (10^12 watts)... De plus, cette impulsion laser est
très brève: 70 femtosecondes. Toute l'énergie envoyée sur la cible est
ainsi concentrée en un temps
extrêmement court, ce qui permet d'obtenir une image avant l'explosion
de l'échantillon. Chaque particule biologique injectée dans le faisceau
de photons, à une vitesse de 300km/h, est transformée en un plasma à une température de 100 000 degrés Kelvin. Mais auparavant, elle a eu le temps de diffracter 1,7 millions de photons à partir desquels est recréée son image, grâce à des méthodes mathématiques et des logiciels développés par les chercheurs.
Les aspects biologiques de ces travaux ont été assurés par l'équipe de
Chantal Abergel dans le laboratoire CNRS Information génomique et
structurale dirigé par Jean-Michel Claverie (professeur à l'Université
de la Méditerranée). Les physiciens souhaitaient en effet valider ces
travaux sur un objet biologique aussi "spectaculaire" que leur
laser. Les chercheurs marseillais ont donc fourni l'objet d'étude, la
particule de Mimivirus (le plus gros virus à ADN
connu à ce jour, découvert en 2003 par les équipes CNRS de Didier Raoult et de
Jean-Michel Claverie à Marseille), et assuré la préparation et l'optimisation des échantillons nécessaires à l'expérience.
Ces travaux valident la faisabilité de l'utilisation d'un accélérateur de particules comme outil de biologie structurale pour obtenir en un seul "flash" laser la photographie de particules uniques (virus, bactéries, protéines, cellules...). Ils constituent
une avancée "historique" dans le domaine de la biologie structurale. En
effet, jusqu'à présent, deux techniques permettaient d'étudier des
objets biologiques: la radiocristallographie et la microscopie
électronique. Or les exigences requises par ces techniques (être
"cristallisables", symétriques, statiques, et d'une taille adéquate) (*)
excluent la plupart des objets biologiques et faussent souvent les
résultats car elles supposent que toutes les molécules sont identiques
et imposent une symétrie qui n'est souvent pas réelle. Avec le laser
LCLS, toutes les particules pourront être étudiées individuellement,
quelle que soit leur taille et leurs propriétés. Cette technique annonce
ainsi une nouvelle ère: celle de la biologie structurale des objets
uniques. L'Europe se prépare à relever ce nouveau défi avec son propre
instrument, baptisé ELI, dont la mise en chantier vient de commencer.
Le laser LCLS va permettre d'étudier la surface mais aussi l'intérieur
des particules puisque les rayons X traversent les échantillons. La
résolution actuelle des images obtenues est de quelques nanomètres
(1nm=10^-9m). Les chercheurs travaillent actuellement pour optimiser ces
performances et obtenir une résolution de l'ordre de quelques angströms
(1Å=10^-10m). Les expériences planifiées pour les mois
prochains devraient permettre d'obtenir la structure tridimensionnelle
complète (capside et nucléocapside interne) d'une particule de
Mimivirus à l'échelle du nanomètre et de comparer différentes particules
de Mimivirus entre elles. Les chercheurs pourront ainsi explorer pour
la première fois l'existence d'un polymorphisme structural des
particules virales.
Note: (*) La radiocristallographie utilise la cristallisation d'un grand nombre d'objets identiques selon un réseau régulier pour amplifier leur signal individuel de diffraction. La microscopie
(La microscopie est l'observation d'un échantillon (placé dans une
préparation microscopique plane de faible épaisseur) à travers le
microscope. La microscopie permet de rendre visible des éléments...)
électronique utilise les symétries (réelles ou approximative) des
objets pour en reconstituer la structure tridimensionnelle à partir
d'une multitude (des dizaines de milliers) d'images de leur projection sur un plan.